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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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d’un sourire.
    — Comme une synthèse de vous deux en somme, puisque j’ai commencé mon séjour à l’hôpital et en prison à la Sala. En tout cas, c’est grâce à ces circonstances compliquées que j’ai fini par entrer en Inde, blessé au dos par la rupture d’un mât de beaupré et prêt à passer de vie à trépas.

    On savait jusqu’au bout du monde que l’hôpital de Goa était un paradis sur Terre, un haut lieu de science médicale, de consolation spirituelle et d’humanité pourvu que l’on fût vieux chrétien, homme – si possible Portugais –, et que l’on eût quelque raison de servir en Inde. Un hôpital hors du commun. Si on y était admis, on y était traité en seigneur, que l’on fût fidalgo ou simple arquebusier de troisième rang.
    — Vois autour de toi comment nous sommes accommodés.
    Jean fit remarquer les grands lits de sangles, les draps de coton fins et nets, les couvertures de soie chamarrée, les écuelles, les vases et les plats de Chine, les chemises, pantoufles, caleçons et mouchoirs immaculés, changés et blanchis tous les trois jours.
    — Nous dînons à dix heures du matin et soupons à cinq de l’après-midi. Le pain, les soupes, la chair, poulets etconfitures sont sains et servis à satiété, sur l’ordonnance du médecin notée par l’écrivain de cuisine. L’eau nous est apportée chaque jour en cruches de la meilleure fontaine de Goa. Les visiteurs de passage sont servis comme s’ils étaient des invités. Médecins, chirurgiens, barbiers saigneurs et apothicaires nous visitent chaque matin à huit heures et le soir à quatre, annoncés par des coups de cloche et des fumigations prophylactiques. – Il se tourna vers le Lavallois. – Je sais que tu partages mon admiration.
    — Tout à fait, et encore plus. Les malades sont les protégés personnels du roi. Dans d’autres hôpitaux aussi exemplaires, on soigne les femmes et les étrangers. On accorde autant de patience, de bonté et de soin à tous les malchanceux, jusqu’aux prisonniers, aux esclaves et aux idolâtres. Une telle profusion et cette magnificence témoignent de la richesse et la dimension spirituelle de l’empire des Indes.

    Les mains croisées derrière sa tête, le marchand fixait la lanterne suspendue au-dessus de l’allée centrale. François en avait compté six, intrigué par leur curieux matériau translucide et irisé. Les carepas, des coquilles d’huîtres amincies, tenaient lieu à Goa de vitres pour la confection de fenêtres et de lanternes montées à facettes à la façon d’un vitrail. Il continua après un temps de réflexion :
    — J’espère que cet état d’esprit généreux résistera aux tentations de la corruption qui gagne Goa. Mon ami François, tu aurais échappé au remugle de la salle commune de ta prison en glissant un bazaruque au geôlier qui t’aurait mis ailleurs. Et tu aurais même évité la prison en glissant une tanga au sergent.
    — Je n’avais sur moi qu’une pièce de dix sols. Ma fortune. De toute façon, je n’aurais pas pensé à acheter des fonctionnaires, même des petits agents.
    — Presque tout s’achète déjà. Le moment viendra, je le crains, où l’eau nous sera délivrée contre rançon.
    François Pyrard se tourna vers eux sur le côté droit, s’appuyant sur son coude.
    — Le climat est malsain, chaud et humide. Le sang se corrompt très vite. C’est la raison de ma présence ici, des suites d’une simple écorchure au pied.
    Les épidémies avaient tellement ravagé les Indes, que l’on fondait sur elles les stratégies militaires. Les épidémies pouvaient décimer les assaillants plus sûrement que les arquebuses, et ces guerres étaient sans fin. Au siècle dernier, le choléra avait sauvé Duarte Pacheco Pereira, bloqué dans Cochin par les dizaines de milliers de guerriers du samuttiri – le seigneur de la mer – de Calicut.
    — Garçia da Orta consacre un long chapitre à la cholerica passio ou choléra sec. Il tue immanquablement en vingt-quatre heures.
    — Exact. Les Indiens appellent cette maladie modashî. Nos compatriotes en ont fait mort-de-chien.
    — C’est curieux, elle se déclare seulement en juin et juillet, et elle atteint surtout les mangeurs de concombres et de fruits de mer. Et, c’est encore plus bizarre, les débauchés. Le bézoard est un remède efficace contre le choléra, mais les indigènes utiliseraient paraît-il plus radicalement l’application d’une barre

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