L'arbre de nuit
de Goa qui me fera ouvrir à deux battants le grand portail de la ville. Simple effet du hasard. À Marrakech, j’ai rendu un fier service à deux Portugais de grande noblesse.
Il leur confia que, mieux encore, le fils d’un récent vice-roi des Indes, son second obligé, était le frère du plus haut responsable de l’institution qui gérait leur exploitation. Son intendant ou quelque chose d’approchant, c’est-à-dire l’autorité qui contrôlait les passeports. Il comptait que les recommandations de son frère miraculé amolliraient suffisamment l’oreille de cet intercesseur pour en faire son avocat.
— La flotte qui conduira le nouveau vice-roi prendre ses fonctions à Goa appareillera de Lisbonne en février ou mars de l’année prochaine. J’ai bon espoir d’être cette fois du voyage. D’autant plus que je me réclamerai aussi de mon expérience de la chirurgie et de ma connaissance des drogues et des simples.
— Tes talents seront-ils reconnus à Lisbonne ?
— Le nouveau vice-roi désigné est le comte da Feira. J’ai honte de m’en réjouir mais on dit que sa santé est vacillante. J’espère qu’il se rétablira tout seul grâce à Dieu mais quel grand malade refuserait l’assistance d’un chirurgien apothicaire attaché au roi de France pendant un si long voyage ?
— Tu vas vraiment partir pour Goa ?
François était subjugué et il réfléchissait intensément à la façon de saisir ce fil conducteur inespéré. Relevant la tête, il jeta un regard éperdu à Guillaume qui haussa les sourcils pour montrer qu’il partageait l’interrogation. En ajustant ses manches, Mocquet modéra sa déclaration d’intention tout en faisant valoir habilement l’importance de sa condition et la familiarité de ses relations royales.
— Bien entendu, je repartirai si le roi m’y autorise quand je lui aurai rapporté mon périple au Maghreb et soumis les curiosités que je lui destine. Elles m’attendent à Rouen où j’ai ordonné de les transporter.
Jean furetait dans l’atelier, les mains derrière les poches de son caftan, examinant de près les cartes et les croquis qui tapissaient les murs. Il tomba en arrêt devant une mappemonde longue d’environ deux aunes, suspendue au mur du fond, tendue sur un cadre en bois. Ouverte comme un grand papillon noir et blanc, elle était constituée d’une mosaïque de douze feuilles de papier montées bord à bord.
— Magnifique. – Il était le nez collé à la carte. – Cette mappemonde est gravée sur bois. Ma culture cartographique élémentaire me fait imaginer que tu n’en es donc pas l’auteur.
— J’avais bien l’intention de te la montrer. Toi qui aimes les curiosités royales, tu n’auras pas perdu ton précieux temps en venant rendre visite à mon échoppe.
— Un travail flamand ?
Guillaume vint rejoindre son visiteur.
— Français. L’ Universalis Cosmographia . C’est l’un des produits austères de l’imprimerie qui bouleverse la transmission des connaissances en réduisant son coût artisanal dans des proportions considérables.
— L’Asie me semble d’un dessin plutôt archaïque.
— Bien, le Parisien. Mais vois ici, en bas à gauche, et dans ce cartouche en haut. L’Amérique est très convenable.
Jean hocha la tête en faisant la moue.
— Je te l’accorde mais toi-même, tu fais mieux. Alors hormis sa dimension respectable, en quoi cette mappemonde en papier mériterait-elle une attention particulière ?
— Parce qu’elle est exactement centenaire. Cette Amérique a été dessinée en 1507.
— Peu de temps après les voyages de Colomb.
— Et surtout quinze ans avant le retour des survivants du voyage de Magellan. Quinze ans avant que quelqu’un décrive la face cachée de ce continent.
— Une connaissance antérieure restée secrète ?
— Non. Une intuition ! C’était un coup de génie d’érudits de Saint-Dié. Ils avaient entrepris d’éditer une nouvelle édition magistrale de la Géographie de Ptolémée en la mettant à jour. Ce Grec a compilé les connaissances antiques sur le monde. On avait oublié une science très avancée. Quand on a retrouvé les données de la Géographie , le monde redessiné a été largement diffusé, copié à la main et maintenant imprimé. Il reste le fondement de la réflexion sur l’image de la Terre.
Il prit son visiteur par le bras, le tirant vers le coin inférieur gauche de la mappemonde.
— Il leur fallait
Weitere Kostenlose Bücher