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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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curiosité peut m’être précieuse.
    — Votre seigneurie, la réputation de Goa est un aimant puissant pour les voyageurs curieux que nous sommes. Elle est suffisante de toute façon pour attirer l’homme le plus timoré sur le premier navire en partance. C’est pour cela que nous avons désiré ardemment ce voyage.
    — Je te sais gré, l’apothicaire, de ton discours pompeux. Pour aller voir la Terre Australe, ajouta-t-il en désignant François, il fallait, toi et tes aiguilles, embarquer à Amsterdam. Les Bataves vont bientôt décider du sort de l’hémisphère sud. Ils assiègent sans répit Malacca. Ils commencent à fonder des comptoirs à Sumatra. Ils sont déjà les mieux placés pour vérifier de visu à quoi ressemble ta Terre Australe. Une abstraction dont je n’ai au demeurant rien à faire si elle ne produit rien d’utile au commerce ni à la religion.

    Le gouverneur se frottait à nouveau les phalanges. Il réfléchissait. Il recula son fauteuil, se leva en portant dans une grimace la main à son côté et fit le tour de sa table de travail contre laquelle il se posa à demi assis, s’y appuyant des deux mains.
    — Le Portugal a besoin dès maintenant de témoins objectifs de son œuvre. La dimension de notre engagement pour l’expansion de l’Occident est déjà méconnue parce que la révélation fracassante du Nouveau Monde a été versée au crédit de l’Espagne, et parce que les Hollandais entrent en scène et commencent à détourner les regards sur eux. Alors, tous ceux dont nous avons dérangé les affaires et qui courent maintenant à la curée vont commencer avec délices à piller notre héritage tout en déclarant à grands cris qu’il est sanglant.
    François ne put retenir une exclamation et interrompit dom André.
    — Maître Fernandes, le pilote-major de la flotte m’a exprimé exactement la même certitude navrée au cours de notre voyage. C’était le 15 août dernier, à la pointe sud de l’Afrique.
    Confus de sa réaction, il salua de la tête et compléta vivement sa phrase pour se rattraper :
    — Votre seigneurie.
    Le gouverneur ignora l’interruption. Il traversa la pièce à grandes enjambées et alla se planter devant le portrait d’Albuquerque qu’il fixa de bas en haut, les mains croisées derrière le dos, tenant son poignard malais, leur parlant sans les regarder.
    — Albuquerque bouillait d’impatience. Il a subjugué les seigneurs de la guerre, gagnant les unes après les autres les places indiennes, arabes et malaises jusqu’au détroit d’Ormuz.
    Il dégaina son kriss et le mania vivement autour de son visage avec des gestes de barbier de comédie.
    — Il a coupé partout assez de nez et d’oreilles pour que l’on conservât longtemps son souvenir. Il a tenu l’empire à bout de bras. Et le Portugal avec lui.
    Mendonça rentra le kriss dans son étui et occupa ses mains en faisant glisser la lame d’un mouvement alternatif.

    Porté par l’impatience, l’officier entra à nouveau de quelques pas dans la pièce en écartant les bras pour signifier qu’il n’y pouvait rien. Déjà éberlué par l’importance que ce gouverneur décidément atypique accordait à ces visiteurs étrangers de piètre vêture, il s’arrêta brusquement, effaré de le trouver debout devant ces gens de peu assis.
    Mendonça s’étira. Il était de très bonne humeur. Il imita dans un éclat de rire le geste d’impuissance de l’officier.
    — Nous aurons tout le temps de discourir de l’état du monde et de la fougue d’Albuquerque pendant notre voyage. À nous revoir à bord d’une galère si je trouve le temps d’aller mettre en ordre le sud, et de toutes façons sur la caraque qui me ramènera au Portugal. Si, comme je commence à lecomprendre, Dieu est pressé de reprendre mon âme en cours de route, tu t’occuperas de mon cadavre, l’apothicaire, comme tu as très bien arrangé m’a-t-on dit la dépouille du comte da Feira.
    — Ce sera un immense honneur pour moi d’embaumer votre seigneurie, mais si elle me le permet, je vais rassembler dès maintenant les plantes et les médecines pour guérir son corps, plutôt que les aromates pour le conserver.
    — Approvisionne les deux. On n’est jamais assez prudent.
    Son visage redevint grave.
    — Ouvrez les yeux puisque vous prétendez vouloir tout voir mais ne vous aventurez pas là où les étrangers sont indésirables. J’ai éprouvé un plaisir insoupçonné à vous parler

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