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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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pointer au-dessus des têtes. Ils étaient vêtus de hauts-de-chausses ou de grandes jupes de soie et chaussés de souliers cornus à la turque, en cuir rouge et doré.

Ocrés, bronzés, cuivrés, olivâtres, bruns, blancs ou noirs, Cafres de Mozambique, nègres de Guinée ou Indiens du Bengale, les esclaves étaient nus. François avait entraîné Jean vers le haut de la rue.
    — La partie la plus étonnante de ce marché est là-bas. Il faut absolument que tu voies ça. C’est là que l’on vend les hommes et les femmes.
    — Nous irons bien sûr mais il y a tant à fouiner ici. J’ai déjà visité des marchés aux esclaves en Barbarie. Et j’ai vu à Lagos l’un des plus élégants et le plus vieux d’Europe. Un charmant bâtiment à arcades, jaune d’or sous le ciel bleu de l’Algarve, devant lequel on expose les captifs rapportés de Mauritanie.
    François fut choqué par le cynisme de Jean. Comme tous les Dieppois, il ignorait totalement l’esclavage dont il avait à peine une vague idée lointaine. Il n’avait rien remarqué à Lisbonne où quelques Maures passaient inaperçus. À Goa, la réalité lui avait sauté au visage. Il venait pour la seconde fois au marché de la rua Direita sans s’être habitué à voir des hommes, des femmes et des enfants négociés comme des marchandises. Son malaise était difficile à analyser. D’après ce qu’il avait lu et imaginé, il s’attendait à des captifs enchaînésdont le regard sombre aurait porté la rage impuissante et la fureur de l’Afrique. Il ne lisait aucune servitude, aucune haine, aucun défi dans les yeux de ces prisonniers sans entraves. Leur nudité humiliante, contrastant avec les tenues apprêtées des goanais, renforçait paradoxalement l’impression d’une liberté naturelle.

    Des jeunes beautés venues de Golconde, du Malabar ou du Bengale exposaient intégralement leurs charmes. Elles les enjolivaient sans gêne en montrant leurs talents et suggérant leur savoir-faire. Se donnant étonnamment en spectacle, elles rivalisaient de leur mieux avec les étrangères, les négresses importées de Mozambique ou de Guinée, dont la cote était au plus haut. Les mélopées des Indiennes excitaient moins les chalands semblait-il que les seins debout et les cheveux frisés des Africaines. Vexées, les chanteuses avertissaient à la cantonade, en se pinçant le nez d’un air dégoûté, que les négresses puaient fort la sueur. La contribution désinvolte des captives à leur acquisition au meilleur prix déroutait François.
    — J’ai une belle pièce pour toi, jeune homme. À voir ton air absorbé, tu sembles un connaisseur. Regarde et apprécie ! Cette fille est métisse d’une Bengalie. Elle croîtra d’année en année en beauté et en docilité. Elle est vierge. La visiteuse assermentée des femmes là-bas s’en portera garante. Pour vingt pardaos, elle est à toi. On apprécie dans tout l’océan Indien la qualité de mes impubères. Touche le soyeux de sa peau ! Touche !
    La fillette âgée de sept à huit ans tout au plus agitait son petit derrière pathétique en faisant semblant de se caresser une poitrine à venir pour paraître plus femme. François la regardait, pétrifié. Le marchand, vêtu à l’arabe et coiffé de la calotte blanche des musulmans, se dandinait d’une babouche sur l’autre comme un canard avec un air bonhomme.
    — Que veux-tu que je fasse d’une esclave aussi frêle et d’une enfant si jeune ?
    Estomaqué, le maghrébin se tourna vers Jean.
    — Ton ami est-il puceau, impuissant ou sodomite pour poser une question aussi bête ?
    Il les dévisagea l’un et l’autre puis il éclata d’un rire vulgaire en se pliant en deux.
    — Oh ! Pardon ! Je comprends que vous êtes en ménage. Excusez-moi d’avoir troublé votre intimité, messeigneurs.
    Il leur décocha un geste virile du bras, le majeur émergeant raide de son poing fermé, et dirigea la gamine d’une claque sur les fesses vers un sergent qui observait la scène avec attention en tordant sa moustache.
    — Jean ? Où sommes-nous tombés ? balbutia François.
    — Mon cher, si le spectacle te dérange, que viens-tu y faire ? C’est toi qui m’as entraîné ici toute affaire cessante. Par tes soins, ma première vision de Goa la Dorée, après son hôpital, est son marché aux esclaves.
    Le sergent plaisantait avec la fillette toute en sourires.
    — Vois comment cette gamine impudique fait tout ce qu’elle peut

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