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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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pour être achetée par ce soudard.
    — Ces captifs sont de bonne volonté. Les voyageurs s’étonnent de l’apparente connivence qui rapprocherait à Goa les esclaves et leurs maîtres, même s’ils les traitent sans trop de ménagements et en usent sans limites.
    — Mais comment cela se peut-il ?
    — Au Brésil, le travail est très dur dans les plantations de canne à sucre. Le besoin de main-d’œuvre est considérable. Les fonctionnaires rentrant au Portugal y font d’ailleurs quelques profits au passage, en revendant des esclaves achetés avant de partir. Ici, au contraire, les tâches ne sont pas très rudes. Les travaux ménagers, le soin et le plaisir des maîtres, le transport de l’eau, la vente de confitures, de tapisseries, de broderies et d’autres ouvrages de dames ne sont pas des occupations trop pénibles. Vois ces domestiques autour de nous. Procurer de l’ombre à son maître n’est pas une charge inhumaine.

    À trois pas de l’éventaire des négresses de Guinée narguant les Indiennes en colère un peu plus loin, ils s’assirent face à face sur deux des gros blocs de taille disposés en travers de la rue pavée. Ils permettaient de la traverser à pied sec d’un trottoir à l’autre quand la mousson la transformait en torrent.Leurs chapeaux leur servaient à la fois d’éventails et de chasse-mouches.
    — Goa est une place de négoce. La seule industrie est l’exploitation des cocotiers. L’argent s’y multiplie par l’achat et la revente de graines et de baies qui naissent naturellement et se recueillent sans trop d’efforts quelque part ailleurs, ou de produits des manufactures de Chine. Les esclaves sont ici plutôt décoratifs qu’ouvriers. Certains sont plus heureux et moins occupés que les plus pauvres des Indiens ou des journaliers dans nos campagnes. Familiers de riches demeures, ils sont assurés de manger à leur faim. Les femmes fréquentent pour la plupart les lits de leurs maîtres. Il paraît qu’avoir commerce avec ses esclaves n’est pas considéré comme un péché.
    — Quelle hypocrisie complaisante des prêtres, si tu dis vrai. Ces femmes caressées sans vergogne par leur propriétaire sont d’abord leurs captives, Jean.
    — Oui, mais pas forcément. Le maître s’occupe paraît-il de les marier. Dès lors, il s’abstiendra d’en user. Les enfants mâles qu’il a de ses rapports avec ses esclaves sont légitimés. La mère reste la propriété de son maître mais elle est libre. À moins qu’il ne l’affranchisse, et s’il meurt, elle le sera aussitôt.
    — Penses-tu me convaincre que la colonisation des Indes aurait fondé une société idéale dans laquelle chacun occuperait sa juste place dans une harmonieuse opulence ?
    — Pourquoi pas ?
    — Devrais-je du même coup m’attendrir de la générosité des maîtres affranchissant après usage les filles qu’ils ont forcées ?
    Ils étaient bousculés par des passants qui les heurtaient du pied ou du genou, prenant appui de la main sur leurs épaules ou sur leur tête pour restaurer leur équilibre en les injuriant. Jean réfléchit un instant et s’enfonça d’un coup de poing son chapeau sur la tête, comme pour donner un tour léger à leur controverse.
    — Je répète ce que j’ai appris à l’hôpital, François. Nous verrons à l’usage. Nous découvrons déjà que l’homme pourrait apparemment accepter sa servitude d’une façon consensuelle.
    — Cela ne se peut.
    — J’ai dit « apparemment ». Pyrard m’a affirmé n’avoir rencontré que des nègres et des négresses bien nourris et probablement satisfaits de leur sort. Nous allons vérifier qu’il y a évidemment des mauvais maîtres à Goa.
    — Le sort de ces esclaves n’est peut-être pas inhumain, soit. Malgré tout, ils sont proposés à la vente comme les chevaux qui sont là-bas en face, dont on retrousse pareillement les lèvres pour apprécier la denture.
    — Pire ! Les chevaux sont parés et harnachés avec soin, tandis que ces gens sont nus. D’ailleurs, tous les Indiens iraient nus si les prêtres ne les obligeaient pas à porter des vêtements qui les gênent.
    — Tu n’es pas drôle. Ces jeunes femmes dont on inspecte le pucelage, ces enfants impubères que l’on propose aux soldats sont un spectacle indigne d’un État chrétien. Nous ne pratiquons pas cette infamie au royaume de France.
    François se rongeait les ongles. Il se sentait sali par cette gamine qu’on lui

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