L'arbre de nuit
sévérité était en accord avec la nef, assez dépouillée pour absorber le décor doré du retable et de la chaire, d’un art baroque raisonnablement maîtrisé. L’ombre d’un grand bâtiment la coupait fâcheusement en deux, obscurcissant en diagonale sa moitié inférieure droite et empêchant d’apprécier pleinement l’élégance classique de ses registres à pilastres discrets superposant les trois ordres grecs. Consacrée depuis peu, la basilique du Bom Jesus n’était pas entièrement terminée. Ils avaient apprécié de loin le travail d’un fresquiste et de ses aides qui, perchés sur un échafaudage, travaillaient à la voûte d’une chapelle latérale.
Jean et François étaient tous les deux la tête levée, détaillant la façade dominée par le monogramme IHS qui la plaçait sous la règle de la Compagnie de Jésus.
— Iesus Hominum Salvator ou IE-Sous en grec, lança avec bonne humeur Antão qui venait de les rejoindre.
— Je sais, coupa Jean.
— Bon ! Ne te vexe pas. Ne restons pas au soleil.
Le jésuite les entraîna vers l’édifice dont l’ombre se projetait si malencontreusement sur la façade du Bom Jesus. Élevé à toucher la basilique épaule contre épaule, trapu, sans aucun ornement, il semblait affirmer sa continuité avec elle dans une humble dépendance. Postérieure de quelques années, la basilique était en réalité son émanation.
— Vous entrez dans la plus remarquable des institutions de Goa.
— La nouvelle maison professe des jésuites je présume. Péché d’orgueil caractéristique de ton ordre, Antão ! Péché capital selon saint Augustin.
— Sois indulgent, mon frère ! Nous sommes fiers il est vrai du rôle pionnier de la Compagnie de Jésus en Inde et en Asie.
— Vous êtes une jeune congrégation. Je présume que vous n’étiez pas les premiers frères à vous installer à Goa.
— Bien pensé, frère Jean. Les premiers furent huit franciscains conduits par le frère António de Louro pour fonder São Francisco de Assis. C’est d’ailleurs un franciscain, Pedro de Covilhã, confesseur de Vasco de Gama, qui a dit la première messe sur le sol indien. Cette congrégation de grands voyageurs méritait bien cet honneur car elle a véritablement inspiré la dynastie d’Aviz et l’expansion du Portugal.
— Vous avez pris le relais.
— Les critiques innombrables contre notre compagnie sont assez acides en effet pour attester l’ampleur de son influence spirituelle.
— Pourquoi vous appelle-t-on ici les paulistes ?
— Nous devons ce surnom qui nous honore au père Diogo de Borba qui a placé la fraternité de Santa Fé, notre premier collège, sous le patronage de São Paulo.
— Et pourquoi avoir choisi Paul ?
— Parce qu’il était l’apôtre des gentils.
— Des gentils quoi ? s’étonna François.
— Les non juifs, à l’exception des musulmans. Vous ne savez vraiment rien à Dieppe.
Il s’excusa de sa plaisanterie en joignant les deux mains. Diogo destinait le collège à accueillir les idolâtres convertis pour les instruire dans leur propre langue. La Compagnie de Jésus venait à peine d’être reconnue par le pape. Dès son arrivé à Goa avec le titre de nonce apostolique, le frère Francisco Xavier avait eu une révélation. De cette maison sortiraient des hommes de toutes langues capables de répandre la religion chrétienne parmi les peuples de l’Asie et d’y multiplier le nombre des fidèles.
— Il était un ver luisant à l’échelle de l’Asie mais il a éclairé le monde jusqu’aux Moluques, la Chine et le Japon.
Encadrant le jésuite, ils arpentaient la galerie entourant une cour carrée plantée de quatre jeunes palmiers. Crépi à chaux et à sable, le cloître qui régnait sur deux niveaux d’arcades en plein cintre était aussi dépouillé que la façade. La sécheresse de l’architecture montrait que la maison professe des jésuites n’était pas un lieu de méditation mais de travail.
— Pyrard, ce compatriote érudit que ton intervention intelligente m’a permis de rencontrer à l’hôpital, est admiratif de votre imprimerie.
— Il a raison. C’est l’une de nos initiatives les plus heureuses. La première presse à imprimer sur le sol indien a été installée à São Paulo il y a juste cinquante ans.
À force de persuasion et de ténacité, Francisco Xavier avait hissé le collège au niveau des meilleures universités européennes. On avait dû
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