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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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avait offerte comme une bonne affaire à saisir. Le sergent l’avait acquise, après lui avoir palpé les cuisses et les fesses, comptant ses pièces comme il aurait réglé un bibelot chinois. Il regrettait du coup de ne pas l’avoir achetée pour la mettre à l’abri. Que tout cela était compliqué !

    Les chevaux s’énervaient, harcelés depuis trop longtemps par les taons et invectivés par les chiens que cette agitation excitait. Un afflux de charrettes et de porteurs avait annoncé l’approche de la fermeture. Les xarafos rangeaient leurs monnaies dans des sacoches en cuir. Les vendeurs remballaient leurs marchandises dans le remue-ménage des fins de marchés. On repliait partout les éventaires. Les meubles et les ballots s’éloignaient, suspendus aux bambous des porteurs. Les captifs et les captives aidaient les marchands à refermer leurs fers, plus par vieille habitude que par précaution. Leurs chaînes commençaient à s’éloigner dans un raclement métallique rythmé.
    François fit de la tête un geste de négation.
    — C’est incroyable. On me traitera d’affabulateur quand je raconterai cela à Dieppe.
    Il se déplia, assouplit ses genoux ankylosés et donna rageusement du pied dans une balle de foin qui se dispersa sans s’envoler.
    — Je ne parviens pas à imaginer que l’Église a encouragé l’exploitation de l’homme par l’homme.
    Jean triturait une paille échappée du parc d’un maquignon. Il se débarrassa d’une chiquenaude du fétu qu’il avait torturé en boule.
    — Il faut te faire une raison, François. L’infant Henri qui avait placé les découvertes sous la croix des Chevaliers du Christ a accepté le premier la notion d’esclavage. Les Églises ibériques ont approuvé la traite. Les Espagnols l’ont érigée en programme d’État pour les plantations et les mines des Terres Neuves. La force musculaire d’idolâtres privés d’âme aidait l’implantation chrétienne dans le Nouveau Monde à catéchiser. Il s’agissait d’une manière d’énergie naturelle comme l’eau courante, les mulets ou le vent. Ici même, les prêtres ont un ou deux esclaves à leur service.
    Dès la reconnaissance des côtes africaines, les premiers Maures collectés par les navigateurs lusitaniens avaient d’abord eu valeur de spécimens, de curiosités et de preuves. Et puis, quand quelques nègres du cap Vert avaient été rapportés à Lisbonne, on avait compris qu’il suffisait d’aller se servir. La population du Portugal était peu nombreuse et pauvre. L’entreprise spirituelle de l’infant Henri était terriblement coûteuse. C’était une aubaine pour la financer. La Casa avait aussitôt organisé l’exploitation de la terre des nègres, capable de relancer l’épopée africaine qui s’essoufflait depuis près de trente ans. Le prince Henri obtint un droit d’un cinquième des recettes. Colomb, lui, avait parlé d’esclaves sitôt son retour. Il disait avoir découvert une contrée fabuleuse en bordure de la Chine, où Leurs Majestés puiseraient à pleines mains de l’or et des épices tant qu’ils en voudraient. Il mentait. Il ne rapportait en réalité pas grand-chose, sinon quelques pelotes de coton et des perroquets à plumes vertes et à col rouge, des Amazones de Cuba. Alors, pour faire bon poids, il avaitproposé d’expédier aussi des esclaves. Des idolâtres, disait-il, en habillant son offre d’un alibi religieux. Il proposait de transformer en travailleurs forcés les Indiens cannibales irrécupérables par les prêtres.
    François écoutait, bras croisés, le dos voûté et le front têtu.
    — Et la pieuse reine de Castille aurait applaudi ?
    — Isabelle a poussé de hauts cris.
    — Tu vois ! Quand même !
    — La reine jugeait insensée l’idée de lâcher des anthropophages dans les campagnes de la Castille.

Antão de Guimarães s’agenouilla, semblant se fondre dans sa soutane noire. Eux se signèrent et sortirent. Le soleil encore haut cet après-midi les éblouit, faisant cligner leurs yeux qu’ils abritèrent aussitôt sous leurs chapeaux. En ce dernier samedi de mai, la touffeur était suffocante et moite, réverbérée par les parois et par le parvis dallé de la placette. Ils se retournèrent pour attendre le jésuite.

    La façade en latérite crue d’un ocre rouge paraissait d’autant plus sombre que les murs et les contreforts de la basilique étaient de part et d’autre badigeonnés de blanc de chaux. Sa

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