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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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transférer les cours en raison de la multiplication des classes. Le nouveau collège était construit sur la colline d’où Albuquerque avait dirigé le siège de Goa, près de la chapelle Nossa Senhora do Rosário. C’est là que le maître enseignait déjà le Credo et les commandements aux enfants, en plein air car ils étaient trop nombreux pour tenir dans la nef. Plus de six cents élèves y étudiaient maintenant, et beaucoup entraient ensuite au séminaire.
    — Ordonnez-vous des prêtres indiens ?
    — Depuis plus d’un demi-siècle.
    — Cela m’étonnerait que vous fassiez aussi des jésuites, opposa Jean.
    — Pas pour le moment s’ils ne sont pas de père et mère portugais mais cela viendra un jour. Accorde-nous un peu de temps. À côté de São Paulo, le séminaire de São Roque reçoit des novices portugais et met leurs vocations à l’épreuve de la règle.
    — Le prestige de votre enseignement et le rayonnement de Francisco Xavier doivent porter ombrage aux autres ordres. Non ?
    Les yeux au ciel, Antão affecta une totale incompréhension.
    — Pourquoi, Seigneur, nous craignent-ils les uns, nous détestent-ils d’autres et nous jalousent-ils tous ? N’a-t-on pas pris le soin de séparer nos territoires de mission évangélique à Goa et dans ses alentours ? Les franciscains ont le nord, les jésuites le sud, et dans l’île même, les paroisses ont été réparties entre jésuites et dominicains. Les augustiniens se sont installés sur la colline de l’est, en terrain neutre.

    Le jésuite avait ôté son chapeau qu’il tenait horizontalement devant lui comme s’il eût représenté le plan de la ville, désignant sur ses bords les territoires des congrégations. Il posa le doigt là où les couvents des augustiniens, des augustiniennes, des carmélites déchaussées, des franciscains et des dominicains de São Tomé s’élevaient alentour, certains encore en cours de construction. Ils montaient vers le ciel comme si les ordres religieux se bousculaient pour marquer leur territoire en bordure de l’Asie.
    — Tu es à Goa depuis à peine deux semaines, et tu en parles comme si tu y vivais depuis deux ans.
    — Je suis bien naturellement instruit de l’histoire de notre compagnie. Et puis les récits de mes frères lors de nos conversations ressassées pendant plus d’une année en mer me donnent effectivement l’impression d’être ici depuis des lustres.
    Il affecta un profond soupir.
    — En vérité, nous sommes habitués aux aigreurs voire à l’hostilité. Même à l’Inquisition. Nos querelles vénielles durent depuis toujours. Nos frères prêcheurs dominicains et franciscains et leurs révérends pères sont d’ailleurs nos plus fidèles aiguillons. Il est exact qu’il nous arrive de nous invectiver. N’est-ce pas le signe d’une saine émulation ?
    — Vous vous disputez entre vous ?
    — Jusqu’en chaire, François ! Ce n’est pas faute des recommandations de Francisco Xavier. « Gardez-vous bien d’avoir des disputes et surtout en chaire », recommandait-il sans cesse. « Et rendez-leur visite de temps en temps », ajoutait-il.
    — Notre ami français croit savoir que vous seriez en procès à Rome contre dom frei Aleixo de Meneses. Seriez-vous brouillés même avec l’archevêque ?
    Antão s’assit d’un bond sur la balustrade où il posa soigneusement son chapeau avant de rectifier ses cheveux ébouriffés.
    — C’est un autre problème, Jean, tu le sais et tu t’en amuses. Puisque la constitution de la Compagnie de Jésus a été déclarée à Saint-Denis de Montmartre, dans ton pays, tu es bien placé pour savoir qu’Ignace de Loyola a fait reconnaître par Paul III notre seule obéissance absolue au pape et au général de la compagnie. Nous appartenons au clergé régulier, mais c’est dans le siècle que nous offrons notre vie au Saint-Père et à l’Église pour combattre l’hérésie et le paganisme.
    Ses deux mains à plat de part et d’autre, les talons de ses sandales battaient machinalement une colonnette de latérite.
    — Par le fait de leur constitution les jésuites ne relèvent pas de l’évêque de Goa, mais de leur père provincial. C’est tout simple. Nous avons un profond respect pour dom frei Alexo. Il exerce sa charge depuis une quinzaine d’années et s’est fait apprécier pour sa charité envers les nécessiteux et sa générosité attentive pour aider l’érection des couvents et des

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