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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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monastères. Il a l’humilité d’être un augustinien et l’orgueil d’en porter l’habit noir et la ceinture de cuir.
    — N’en fais pas trop, frère Antão. Tout Goa brocarde son train princier calqué sur celui du vice-roi.
    — En terre de mission, l’image spirituelle de l’Église est plus lisible dans un cadre doré.
    Jean fit la moue. Il vint rejoindre le religieux sur la balustrade et lui donna une bourrade amicale.
    — Vous êtes de bien curieux prêtres, vous les jésuites. On glose sur votre indépendance, votre élitisme et les trésors d’un ordre en principe mendiant. On jase sur le luxe de vos maisons, sur les fontaines des jardins de la villégiature champêtre réservée à vos frères comme une Alhambra à une demi-lieue de la ville.
    Antão fit de la tête un signe de dénégation.
    — Notre maison de repos accueille nos frères malades et ceux qui rentrent épuisés de leurs missions lointaines. Pendant leurs voyages, leur bagage se borne à leur bréviaire. Notre règle est ascétique et notre maître en a donné cent fois l’exemple, lui qui ne rêvait que de puissance et de richesses avant sa conversion.
    Il désigna leur entourage de la main.
    — Vois l’architecture rigoureuse de notre maison professe. Notre enseignement est gratuit.
    — Alors, de quoi vivent vos écoles ?
    — Le roi et le vice-roi dotent l’entreprise missionnaire, et beaucoup de Portugais sont assez riches grâce à la Carreira pour soutenir nos collèges et leur léguer des biens.
    — Et les Indiens ?
    Le jésuite se tritura l’oreille.
    — Pour soutenir l’effort d’évangélisation, leurs communautés sont tenues de verser chaque année au vice-roi une contribution égale aux revenus des temples que nous avons démantelés.
    — Vous ne manquez pas de souffle ! Comptez-vous sur cet impôt cynique pour gagner l’amitié des Indiens ?
    — Que veux-tu ? Nous sommes en guerre totale contre le paganisme.
    Antão fit signe à François de se rapprocher d’eux.
    — Je vais vous révéler pourquoi on nous envie et on nous déteste au plus haut niveau de la vice-royauté.
    Il fit de la main un geste invitant à parler plus bas. C’était un jeu puisque le cloître était désert.
    — En contrepartie de leur lourde charge d’enseignement, le roi a octroyé aux jésuites de Goa les saquates. C’est ainsi que les Persans désignent les tributs que les ambassadeurs apportent selon la coutume au nouveau vice-roi quand il prend sa charge. Les présents devrais-je dire car notre souverain n’exige bien sûr aucune contribution de ses alliés. Mais il accepte avec bienveillance leurs aimables coutumes. Quand les rois indiens manquent d’imagination, leurs ambassadeurs contrits offrent en s’en excusant, faute de mieux, des sacs de perles et de pierreries.
    Il avança les mains dans un geste d’offrande en affichant une mine contrite, suspendant son récit un court instant pour ménager sa chute.
    — C’est alors que le représentant de la Compagnie de Jésus subtilise lestement ce trésor sous les narines écarquillées du vice-roi.
    Sa main rafla dans le vide l’évocation du don protocolaire.
    — Privilège des jésuites, votre seigneurie !
    Il rit aux éclats en battant des pieds.

    Impressionné jusque-là par la maturité d’Antão, Jean le trouva d’un coup bien jeune pour s’enfoncer au cœur de l’Asie avec son seul bréviaire pour viatique, mais la Compagnie de Jésus savait ce qu’elle faisait. Il tenta à nouveau de le désarçonner, moins par curiosité que par jeu.
    — Médisance, égoïsme, manque de charité et d’humilité, cupidité nous apprends-tu ! Les files doivent être longues devant les confessionnaux des jésuites.
    — Sur la forme, je ne manquerai pas de m’accuser d’avoir manqué de charité pour le plaisir d’une plaisanterie. Sur le fond, pardonne-moi de te rétorquer que tu n’y comprends rien. Il s’agit seulement d’une gestion intelligente des retombées de l’entreprise indienne.
    La balance commerciale ne se résumait pas en quintaux de poivre. Beaucoup de ressources exceptionnelles étaient générées non par le commerce mais par la diplomatie qui le rendait possible. Elles étaient redistribuées sur place selon les besoins, sans grever les finances du Portugal. Francisco Xavier avait été d’une exigence impitoyable envers ses frères, et il n’avait pas hésité à faire exclure de la compagnie ceux qui étaient

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