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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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frits dans une sauce au tamarin. Leur amitié s’était enrichie petit à petit, sans qu’il en prît garde – mais elle, si – d’une connotation amoureuse dont ni l’un ni l’autre n’était responsable. Il avait remplacé un jour le geste du namaskar , la posture des mains jointes paume contre paume à hauteur de la poitrine qui résume à l’instant la réunion de deux âmes dans un geste de paix, par un léger baiser sur la joue. Elle connaissait bien cet usage occidental trivial puisqu’elle le lui avait rendu avec naturel.
    Deux fois, sans raison particulière, ils avaient affermi leur relation d’un baiser furtif sur les lèvres, en amis, sans insister, comme une maladresse. François ne parvenait pas à déterminer qui en avait pris l’initiative. Il lui était important de savoir s’il dirigeait leur relation ou s’il la subissait. De façon récurrente, au cours des nuits étouffantes où il se retournaitsur sa natte trempée de sueur en s’énervant de ne pas trouver le sommeil, ce débat aboutissait chaque nuit à la même conclusion provisoire qu’il s’en fichait totalement. Et que cela ne changeait en rien son amour pour Margarida.

    Ce jour-là, il venait se faire plaindre, sous le prétexte de lui raconter sa visite à François Xavier. Asha portait ce jour-là son corps de fillette sous le sari orange de leur première rencontre. Après avoir tâté ses ecchymoses d’un doigt poli car les agressions étaient monnaie courante à Goa, elle devint sérieuse. Elle venait de décider qu’il était temps de concrétiser leurs relations.
    — Tu comprends, mes cousines et mes amies se posent des questions. C’est humiliant pour ma famille.
    Ils convinrent que, puisqu’il était libre de son temps le samedi, il passerait la chercher le lendemain vers une heure.

    François dévala la pente en sifflotant d’un pied sur l’autre vers la Ribeira Grande où l’attendait effectivement l’ordre signé de l’intendant. Il constata une fois encore que le moulin à poivre de la Carreira da India tournait rond. Le sergent de garde à la porte du front de mer était celui qui l’avait envoyé en prison le soir de son arrivée. Il le serra dans un abraço chaleureux et sans rancune. Il se rembrunit quand François expliqua à son nouvel ami que le sauf-conduit qu’il lui présentait l’autorisait à se rendre à bord de Nossa Senhora do Monte do Carmo . La caraque était désarmée et son nouvel équipage embarquerait dans quelques jours pour prendre en charge sa remise en condition de mer. Le bateau était laissé sous la surveillance d’une escouade de soldats et d’une poignée de marins sous le commandement d’un sobresaliente. Cette promotion avait rendu ce jeune officier d’un orgueil démesuré, disait-on dans les cercles des maisons de jeu. On y racontait en pleurant de rire qu’il arpentait la dunette avec le dos soucieux d’un capitaine, les yeux fixés au loin en direction de l’estuaire prêt à essuyer les grains de la grande mousson.

    — Que tu entres ou que tu sortes, le Français, c’est toujours la même chose. Tu es nanti de passeports signés par des autorités d’un niveau inimaginable et ton histoire ne correspond jamais à aucun cas prévu. Et il faut que ça tombe chaque fois sur moi. Je vais me faire muter à une autre porte.
    — Ce n’est pas tout, ajouta François à voix confidentielle. Les ordres de l’intendant m’autorisent à prélever une aiguille de mer. C’est inscrit ici en toutes lettres. Et qui plus est, tout militaire ou fonctionnaire doit m’apporter l’aide nécessaire à l’accomplissement de cette mission de première importance.
    Cette histoire d’aiguille acheva d’embrouiller le sergent. Ils décidèrent de clarifier cette affaire au plus vite. Un caporal partit en courant à l’intendance de l’arsenal avec ordre d’en rapporter un contreseing dans les meilleurs délais.

    Sur les quatre heures, François saisit des deux mains les pommes tressées des tire-veilles. Il allait affronter pour la quatrième fois l’épreuve obligée pour passer du monde terrien au monde de la mer. L’odeur de brai était atténuée ou peut-être s’y était-il habitué. Au ras de l’eau, la coque était à nouveau, comme à l’îlot de la Croix, plantée d’un large tapis d’algues filamenteuses d’un beau vert, comme une prairie grasse semée de patelles. Il repoussa du pied l’almadie, rappelant au passeur qu’il devait

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