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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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prochain ? Rester après le départ de Jean et de leur protecteur comportait des risques incalculables puisqu’il comptait deux ennemis tout-puissants dans une ville où l’on tuait par jeu. Matos Macedo avait déjà lancé ses gens sur lui et Fonseca Serrão avait le pouvoir d’être un assassin légitime.

    Devenu sourd au brouhaha de la salle et à la conversation des deux autres, François s’évada dans ses pensées. Peut-être était-il entré dans la vibration de son jatî ?
    « Pour quelle impérieuse raison dois-je rester à Goa ?
    Pour le bonheur platonique informulé d’approcher Margarida quelques instants, de temps en temps ?
    Pour m’abandonner au besoin indéfinissable de la vision fugitive d’une femme qui ne m’appartient pas ?
    Pour rester auprès d’elle à tout hasard, comme un recours si elle avait besoin de moi ?
    Ça, c’est une bonne raison.
    Un prétexte ou une raison ?
    Une raison.
    Tu es sûr ?
    Je suis sûr de moi.
    Et Asha ?
    J’aime aussi Asha bien sûr. Quelle question ! Tranquillement. Je suis attaché au quartier serein des pêcheurs devenus mes amis. Je vibre en harmonie avec les senteurs et le rythme de l’Inde. J’ai déjà réfléchi à ça. Ce n’est pas un problème et je sais dans ma tête comment le régler.
    Bien ! Bien ! Et cette angoisse à l’idée de rentrer vivre à Dieppe ?
    L’angoisse. Ça, je ne sais pas où j’en suis. »

    Un frisson l’avait déjà transi la nuit de la violoniste, à cet endroit même, le jour où Asha s’était donnée à lui. Il lui fallait bien admettre que la perspective de retrouver l’atelier de Guillaume lui était définitivement insupportable. Pas uniquement pour des raisons sentimentales ni d’environnement. Il y avait plus grave. En découvrant les Indes, il avait démythifié les portulans. Il avait percé le mystère des marteloirs. L’exotisme de leurs travaux patients au Pollet s’était volatilisé devant la réalité des tempêtes des quarantièmes, du cap des Aiguilles, de l’îlot de la Croix, de Mozambique et de Goa enfin. Sans doute restait-il alentour un monde immense, déployé jusqu’aux Philippines et au Japon mais il savait maintenant à quoi ressemblaient ces terres imaginées. Plutôt, il n’en savait pas plus qu’à son départ sur les grands blancs des mappemondes mais cela lui était indifférent. Son voyage à Goa marginalisait ces spéculations. Il s’en fichait, de la Grande Jave. « Les Bataves sont les mieux placés pour vérifier à quoi ressemble ta Terre Australe ! » lui-avait dit le gouverneur.
    Reviendrait-il du bout du monde à l’atelier de Guillaume Levasseur nanti d’un si piètre bagage ?

    Le rêve revenait chaque nuit. Toujours le même. Ne pas rentrer. François n’en avait pas encore totalement pris conscience. Il n’était pas certain de vouloir rester à Goa mais il avait déjà décidé de ne pas retourner à Dieppe.
    « François. Enfin ! Entre vite ! La Grande Jave. Raconte-moi !
    — La Grande Jave ? Je n’en ai rien vu et j’ignore même si elle existe.
    — Ah bon ?
    — Personne n’en parlait là-bas.
    — Tu as bien sûr interrogé sur ses confins puisque tu en étais si proche. Sans doute l’enquête fut-elle ardue mais combien exaltante au lieu de nos questionnements sans fin ici, dans notre vieux Pollet. Quelle chance était la tienne de vivre tant de jours à son ombre !
    — Pour être franc, je ne m’en suis pas soucié un seul instant.
    — La géographie de la Terre t’intéresse encore ?
    — Je ne sais plus.
    — Tant d’entre nous donneraient leurs yeux pour apercevoir un instant, avant de les perdre, ces terres qui nous affolent. N’aurais-tu pas cherché à comprendre enfin ce qui nous échappe quand nous imaginons le monde depuis le fin fond de la Normandie ?
    — Non, Guillaume.
    — Mais alors, François, pourquoi es-tu parti aux Indes comme un fou ?
    — Pourquoi ? L’ai-je jamais su en réalité ? Peut-être l’aventure était-elle trop ambitieuse pour moi. Trop grande. Peut-être n’étais-je pas assez mûr pour être persévérant. Peut-être ai-je succombé trop vite aux tentations des Indes. Depuis combien de temps suis-je parti ?
    — Cela fera trois ans le mois prochain. J’ai vieilli de trois ans. Mes cheveux ont commencé à blanchir. Tu rentres rajeuni, régénéré.
    — Trois ans ? Qu’en ai-je fait ?
    — Quelle géographie inconnue se cacherait encore derrière le

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