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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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légèrement par la manche.
    — Puisque tu es un savant en astronomie, veux-tu m’éclairer sur qui a tort ou raison de diviser comme vous la journée en vingt-quatre heures de soixante parties, ou comme nous en soixante ghatis de vingt-quatre parties ?
    Il le laissa aller avec un grand sourire.
    — Je te taquine bien sûr, frère Antão. Je t’en demande pardon. Mais penses-y s’il te plaît. Ça me tracasse.

La route sinuait dans la campagne. Ils avaient remonté la Rua Grande vers la paroisse de São Tomé et ils étaient sortis de la ville. Il avait caressé de la main au passage le banian centenaire qui tenait compagnie à São Paulo. Ses racines adventives semblaient le soutenir comme une réplique végétale des arcs-boutants de la vieille église. Ils marchaient en direction du sud, vers la lagune. L’Indien tenait l’alezan par le licou. Ils allaient à petits pas de promenade. Juste avant de se coucher derrière la mer, le soleil apparut sous le plafond de nuages d’une dernière journée de septembre maussade. La lumière rasante projeta sur le sol orange les silhouettes démesurément étirées du cavalier et de son guide. Le paysage, allumé un instant, s’éteignit en trois temps. Les cocotiers d’abord, violemment dorés, puis les collines arrondies au loin vers Bicholim et enfin le ciel mauve qui s’obscurcit d’un coup.
    La nuit ouvrit le grand concert des singes et des crapauds-buffles. Du moins supposa-t-il qu’il s’agissait de singes car il en avait souvent vu aux alentours de Goa. Quant aux crapauds-buffles, l’antonymie de ces noms accolés le faisait rêver de licornes et d’animaux fantastiques. Son guide ne parlait pas portugais. Il tenta de l’interroger par signes sur les cris de la nuit mais sa mimique lui valut en retour des motsqu’il ne comprit pas. Il se laissait porter au train de son cheval à travers la magie de l’Inde. Il n’avait jamais senti comme ce soir palpiter alentour cent mille petits cœurs affolés, inquiets de son passage ou se guettant l’un l’autre, proies et prédateurs pareillement excités par la peur ou par la tension de la chasse nocturne. La lune se fraya un chemin à travers un résidu de nuages qui se désagrégeaient, puis elle les bouscula pour s’imposer dans une trouée de ciel d’un noir satiné. La nature réapparut, d’un gris bleuté uniforme, comme si toutes les autres couleurs s’étaient résorbées.

    Un messager l’avait averti la veille qu’on viendrait le chercher sur les six heures du soir. Vers quel rendez-vous mystérieux suivait-il cet inconnu taciturne loin dans la nuit ? Il ne craignait pas un piège. Le procédé eût été trop compliqué. Il ne cadrait pas avec les coutumes de cette ville de vengeances et d’agressions expéditives. Il s’agissait vraisemblablement d’une aventure galante ordinaire puisque Goa, affolée de plaisirs, s’épuisait en rendez-vous secrets. Venise restait un modèle jusque dans son libertinage effréné. Il espérait jolie cette femme amoureuse, croisée sans doute au sortir d’une messe, défigurée par le maquillage extravagant des grands jours.
    Ils dépassaient quelques propriétés qu’il devinait en retrait de la route à leurs murs clairs zébrés par les troncs gris des cocotiers. Ils avaient atteint la zone des hortas au bord de l’eau, les cocoteraies plantées des indispensables maisons de villégiature goanaises, les quintas de la tradition portugaise. Les demeures devaient être désertes, attendant les loisirs de leurs propriétaires sous la garde de régisseurs endormis qui laissaient aux dogues insomniaques le soin d’éloigner les rôdeurs. Leurs aboiements accompagnaient leur marche, véhéments à leur passage, prolongés en accès sporadiques derrière eux et anticipés devant, selon la solidarité canine universelle qui fait hurler cent chiens à la lune dès que l’un d’eux a du vague à l’âme.

    Le cheval s’engagea par habitude sur une allée empierrée qui prenait sur la droite. Ses sabots claquèrent sur les pavés, réveillant le zèle de quelques chiens domestiques et faisant faire silence à la faune cachée, attentive aux dangers de la nuit. François pensa qu’on devait entendre son équipage à une lieue.
    La façade arrière de la maison qu’il distinguait au bout du chemin donnait sans doute sur la lagune. Au milieu du mur d’enceinte était greffé un écrasant portail en latérite plâtrée et chaulée à la manière

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