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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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la table à laquelle il était assis mains croisées.
    Queirós conciliait sans complexe son allure de marin au long cours et l’affirmation de sa position sociale. Dans son visage émacié bruni par des années de soleil et d’embruns, le regard illuminé de ses yeux clairs était presque insoutenable au fond d’orbites que l’on pouvait imaginer creusées par des années de privations. Cet homme à l’accent catalan qui ressemblait à une sculpture de cathédrale se tenait très droit, comme si une force intérieure lui épargnait le poids d’une incommensurable charge pour le tenir debout.
    Il esquissa un sourire quand Antão présenta Jean au père provincial comme un médecin et naturaliste ami du roi de France. Il se leva et vint d’un geste spontané donner l’ abraço à François quand il apprit sa qualité de cosmographe de Dieppe.
    — J’apprécie la démarche novatrice de vos hydrographes. Je sais que votre Nicolas de Nicolay a traduit en français l’ Arte de Navegar de Pedro de Medina. Grâce à lui, ce traité de navigation fondamental a franchi les Pyrénées. Je connais aussi la réputation de l’école de Dieppe et le travail des disciples du padre Desceliers.
    — Tu sais le nom de notre maître fondateur !
    Une bouffée de fierté fit rosir les joues de François.
    — Je suis heureux de te rencontrer, jeune homme. Tu es mon ami. Toi et moi, nous dessinons le monde, chacun de notre façon et chacun à notre place mais nous le définissons ensemble. Parce que nous, les pilotes, avons besoin de vos cartes justes. Et parce que vous les rectifiez grâce à nos journaux de bord. Nous faisons un métier bien difficile les uns et les autres, parce que nous ne savons pas vraiment corréler les terres inconnues que nous découvrons. Mais nous tentons de comprendre. Nous, le nez sur la mer, vous, en réfléchissant au calme. Peu de cartographes quittent leur cabinet pour aller voir sur place. Tu es le premier que je rencontre outre-mer.
    Brusquement projeté au rang des notables de l’assemblée par l’amicale familiarité dont il était gratifié, François sentit sa gorge se nouer. Aussi épisodique fût-elle, voire accidentelle, sa conquête de Margarida l’avait fait entrer de plain-pied dans la société des hommes mûrs. Peu habitué à son nouvel état, il était bousculé aujourd’hui par des égards démesurés.

    Queirós s’était tourné vers le provincial. Il le salua d’une inclinaison de la tête pour s’excuser de cet aparté et retourna s’asseoir. Le religieux présidait en bout de table sous un grand crucifix, le pilote lui faisant face.
    — On rapporte partout, maître Pedro Fernándes, qu’au cours de tes voyages, tu aurais rencontré la fameuse Terre Australe dont on dit merveilles. Nous avions hâte de t’entendre sur cette révélation prodigieuse et je te sais gré d’avoir accepté de venir aussitôt malgré les fatigues de ton voyage.
    Il tendit vers lui sa main ouverte, l’invitant à parler.
    — Mon révérend père, depuis mon retour de la Nouvelle-Espagne, je me suis efforcé de convaincre notre roi Felipe de me confier l’implantation d’une colonie chrétienne en Terre Australe car je sais où est cette terre fabuleuse.
    Il parcourut l’assistance médusée d’un regard circulaire.
    — La cour feint de se réjouir de ma découverte mais elle ne me croit pas. On me prend à Madrid pour un hâbleur ou pour un illuminé. Finalement, le conseil du roi m’a suggéré d’aller voir à Goa si une nouvelle expédition ne serait pasplus facile à conduire à partir de l’Inde. J’ai lieu de penser que l’on a pris ce prétexte pour se débarrasser de moi comme d’un importun mais je suis convaincu que c’est une idée sage. Nous sommes partis du Pérou jusqu’à présent, en traversant le Pacifique vers l’ouest. Nous lancerions la nouvelle expédition par l’est à partir de l’océan Indien.
    — L’alternative te semble préférable ?
    — Je vous dirai pourquoi.
    Le pilote fit de la main le signe de patienter. Il se pencha sur la table vers François, encore sous le choc de son geste inattendu d’affection.
    — Que pense mon jeune ami cosmographe d’une approche de la Terre Australe à partir des Indes orientales comme on me l’a suggérée à Madrid ?
    François se recroquevilla sur sa chaise, pétrifié par sa notoriété soudaine et par l’importance du débat. Le regard bienveillant mais attentif du père provincial

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