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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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mental avait cédé dix-neuf ans après la prise de Ceuta, ouvrant enfin la route au long de l’Afrique, encore que l’on n’eût encore aucune idée de sa dimension. Avait-elled’ailleurs une fin ? Ptolémée le niait, qui rattachait l’Éthiopie à un continent austral d’équilibre du monde, mais une carte vénitienne inspirée des Arabes affirmait au contraire que la mer Atlantique et la mer des Indes étaient en communication. Les Portugais avaient atteint l’équateur. Contrairement aux rumeurs, l’eau n’y bouillait pas en tourbillons furieux. Au contraire, des calmes désespérants engluaient les navires et il y pleuvait beaucoup. Bartolomeu Dias avait découvert le cap de Bonne Espérance dix-sept ans plus tard. Et dix ans après cet exploit, Vasco de Gama était enfin parvenu à Calicut, quatre-vingt-trois ans après la prise de Ceuta. Quatre générations humaines. Dom Manuel avait fait porter un message gourmand aux Rois Catholiques.
    Nous vous faisons savoir avec grand plaisir que nos navires ont navigué sur la mer des Indes et qu’ils ont découvert Calicut et d’autres royaumes circonvoisins. Ils y ont visité des cités immenses et très peuplées, construites de riches palais. Ils y ont fait la traite des drogues et des épiceries les plus rares et des pierreries des plus belles eaux .
    Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon avaient verdi de rage. À cette époque, les Indes espagnoles découvertes grâce au raccourci de Colomb n’étaient encore que des friches malsaines. Les hidalgos en quête de la fortune promise par l’amiral pataugeaient dans la boue. Les palais aux toits d’or n’étaient que de misérables cases couvertes de feuilles. Les coquilles qu’ils fracassaient avec hargne ne livraient pas la moindre perle mais des mollusques insipides. Les quelques fragments d’or battu arrachés aux nez et aux oreilles de naturels terrifiés ne pesaient guère plus que les moustiques qui les importunaient par millions. Qui était le plus fou, de l’amiral illuminé qui les avait attirés là-bas en croyant voir ce qu’il ne voyait pas, ou de ceux qui l’avaient cru car il disait ce qu’ils voulaient entendre ?

    Le Portugal avait gagné la course vers les Indes. Les flottes y partaient désormais chaque année de Restelo. Dom Manuel avait décidé d’ériger un sanctuaire hors les murs de Lisbonne, à moins de deux lieues de la mer, au plus près de la plageoù l’on rassemblait les passagers. Il serait plus qu’un oratoire pour voyageurs inquiets : un espace de gratitude et de foi digne des cathédrales. Aussi grandiose que la basilique Saint-Marc, le monastère des Hiéronymites serait aussi en résonance avec les églises blanchies à la chaux que l’on commençait à bâtir pour le Christ à l’autre bout du monde. À l’emplacement d’un ermitage fondé par Henri le Navigateur, le monastère voué à saint Jérôme faisait la synthèse de toutes les richesses de l’art gothique, de la Renaissance, du baroque et du style manuélin, métissant les influences française, espagnole et lusitanienne dans une surprenante boulimie.

    Dans le flou du grand beau temps qui faisait évaporer l’humidité du sol, on devinait la mer derrière le bosquet indistinct des mâtures de la flotte au mouillage que structurait le rectangle vertical translucide de la Tour de Belém. Cavaliers, carrioles et mulets chargés de ballots passaient continûment. La plupart des voyageurs qui défilaient devant eux étaient des gens de la terre, comme en témoignaient leur costume de velours, la couverture bariolée jetée sur leur épaule et le long bâton des piétons. Les marchands vêtus de sombre passaient sur des charrettes, couvant leurs marchandises d’échange d’un air important. Ils attendaient depuis plusieurs semaines à Lisbonne l’ordre d’embarquer, leurs cruzados entortillés autour du ventre ou pendant comme un gros testicule sous leur manteau. Certains d’entre eux, venant des provinces septentrionales du Douro ou des Beiras, avaient été détroussés avant même d’atteindre la capitale par les brigands qui infestaient les défilés propices de la sierra da Estrela malgré les patrouilles de cavalerie. Tous allaient à leur rythme vers la plage de Restelo comme s’ils étaient attirés par un destin fatal.

    Jean interrompit leur rêverie, sauta à terre, saisit son bagage et agrippa le bras de François pour l’entraîner vers le monastère.
    — Viens !

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