L'arbre de nuit
L’heure passe. Nous allons consacrer quelques instants à la bonne conservation de nos dépouilles mortelles, et si c’est trop demander, au salut de nos âmes.
Ils entrèrent par le portail sud, sous la statue de l’Infant debout, revêtu de sa cotte d’armes, tenant son épée dressée vers le ciel. Contrastant avec la lumière extérieure réfléchie par le calcaire blond, la pénombre de la nef de Santa Maria révélait une manière d’allée forestière de six piliers octogonaux ornementés. Ils projetaient plus qu’ils ne semblaient la porter une voûte aux nervures affirmées dont la légèreté éclatait à quelque soixante-dix pieds au-dessus de leurs têtes dans le chef-d’œuvre de l’architecte João de Castilho. Soutenu par le tour de force de deux seuls piliers, le transept était d’une gracilité stupéfiante. Cet acte de foi architectural irradiait un silence absolu, comme s’il absorbait l’agitation populaire qu’ils avaient laissée derrière eux en entrant. Ils s’agenouillèrent côte à côte, chacun dans sa prière ou sa méditation.
Le nom du comte da Feira fit tourner frénétiquement la clé du cloître. Le portier leur indiqua qu’il laissait la porte ouverte et que l’on dirait à onze heures, comme chaque samedi, la messe pour le repos de l’âme de dom Manuel.
François recula devant l’exubérance du décor.
— Dieu ! Cette architecture éblouissante au sortir de la nef d’une pureté si intense. Quel choc !
— Ton impression devant un chef-d’œuvre ?
— Je ne sais que dire. Magnifique, incongru, indiscret, féminin ? Vois ! Ces manières de palmiers qui soutiennent le cloître. C’est un délire de pierre.
L’appareil ornemental de l’architecture selon dom Manuel rendait un hommage foisonnant aux navigateurs et à leurs découvertes. Ce n’était pas une simple vitrine mais les preuves du génie lusitanien. Le style manuélin fondait l’expansion culturelle portugaise sur les descobrimentos auxquels il s’identifiait.
— Surpris ? Déçu ?
— Bousculé en tout cas. Si tu ne m’assurais que ce cloître est censé aider à l’élévation spirituelle, je le croirais bâti sur deux étages pour servir de cadre galant à des fêtes vénitiennes. J’admire en ce lieu de méditation les trésors de la mer et lesrichesses des pays lointains. Au premier coup d’œil, il m’invite moins à la prière qu’il m’incite à courir au voyage.
— Alors, l’architecte avait du génie.
François tournait sur lui-même, la main en visière au-dessus de ses yeux.
— Notre église Saint-Jacques de Dieppe est aussi belle, encore que plus austère, plus trapue que cette construction qui semble se chauffer au soleil. Nous avons eu l’instinct de la construire en pleine ville et non pas sur le front de mer. Sans doute pour mieux nous assurer de sa protection au cœur de la communauté.
— Peut-être tout simplement pour l’abriter des vents d’ouest. Non ?
Ils gagnèrent la galerie haute. Appuyés des bras sur le parapet, de part et d’autre d’une colonnette, le cloître leur apparaissait dans la totalité de son plan carré à pans coupés. François reprit son analyse. Ce long palais ornementé avait été érigé pour la prière au bord du Tage dont la largeur annonçait l’attraction de l’Atlantique. Ce monastère avait une toute autre signification que l’église de Dieppe, dédiée à la contemplation de l’œuvre de Dieu. La contemplation. C’était ça ! En étouffant toute curiosité vers un extérieur possiblement démoniaque. Il sentait bien la différence. C’était indéfinissable, mais cela le troublait comme un regret. Il agrippa des deux mains la colonne de pierre sculptée, levant les yeux vers une vergue imaginaire.
— Jean. Pourquoi va-t-on ici à toutes voiles vers cet extérieur ?
Il s’accouda et poursuivit après un temps, le menton sur ses mains croisées :
— À Dieppe, on prie avec ferveur pour la rémission des péchés du monde et l’on allume des cierges pour le repos des âmes des péris en mer. J’imagine qu’en ce lieu, on prie pour les marins qui sont en mer et que l’on met des cierges en action de grâce pour la grandeur du Portugal. Je perçois une formidable dynamique. Je l’avais déjà ressentie en découvrant Lisbonne, qui surgit de la mer de Paille. Notre regretté roiFrançois n’a pas réussi à intéresser ses sujets à l’aventure marine.
— Il a fait des
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