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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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efforts pour cela mais il est vrai que Sully les voue maintenant à la glèbe et aux bœufs de labour.
    — Et ton protecteur Henri entend les satisfaire d’une poule au pot dominicale. Quel fier programme pour un pays bordé de quatre mers !
    Ils débattirent en plaisantant à demi de l’influence de la morue sur le destin des Portugais et du hareng en caque sur la fortune d’Amsterdam. Ils se demandèrent si nourrir les Français de saumon les aurait transformés en découvreurs. Ils accusèrent le pot où cuit la poule d’être l’urne canope du destin maritime des Français, et ils conclurent en tout cas que les peuples marins savaient au moins que la mer nourrit l’homme.

    — Dis donc, Jean ! À force d’être en avance, nous allons finir par manquer l’appareillage. Je n’envisage pas de revêtir l’habit noir de ces moines. Nous avons beaucoup de longs mois de mer devant nous pour réfléchir sur le monde. Ne serait-il pas grand temps d’y aller ?
    — Nous y allons, François. À nos risques et périls, mais nous y allons.

Alors qu’ils sortaient par le vestibule du monastère, une troupe de moines déboucha du portail ouest de Santa Maria. Elle rejoignit une vingtaine de prêtres et d’acolytes regroupés là, les attendant, affairés à se partager plusieurs brassées de cierges, une croix, des encensoirs et des bannières annonçant qu’une procession s’organisait. Laissant les gens d’Église préparer leur entrée en scène, ils se hâtèrent vers la plage. Son accès était interdit par un cordon de soldats chargés de contenir à distance les passagers clandestins, les larrons alléchés, les espions fureteurs et les simples curieux jusqu’à la fin de l’embarquement. Un sergent examina attentivement leur sauf-conduit, triplement étonné de leur état de passagers français, à pied et sans bagages. Il les dévisagea longuement l’un et l’autre, relut le passeport, hésita un instant puis le rendit à Jean. Il leur fit signe de passer d’un signe de tête impérieux supposé masquer sa perplexité et l’arbitraire de sa décision.

    L’étendue en bordure du fleuve était d’un noir bruissant comme si un essaim s’y était abattu, encombrée de carrioles, de chevaux et d’impedimenta. Quelques imprécations perçaient d’un brouhaha de pleurs et de prières, de piété populaire bruyante mais contenue.
    —  Praia das lágrimas !
    — La plage des larmes. Il suffit d’écouter.
    Une cloche sonna le troisième quart d’heure de dix heures. Ils se frayèrent un chemin vers l’extrémité opposée de la plage, et se posèrent pour apprécier la situation et décider de la conduite à tenir. Pas loin de dix mille personnes devaient être rassemblées au Restelo avec carrioles et bagages. À l’écart de la foule, une troupe de cavaliers entourant la voiture du vice-roi émergeait d’un carré de piétons planté de piques et d’étendards. On eût dit une armée sur le pied de guerre. Les religieux qu’ils avaient laissés derrière eux au monastère se dirigeaient à pas pressés en cohorte désordonnée vers le groupe des personnalités.
    Après quelques minutes de flottement, la procession s’ébranla, bannières hautes, les moines noirs ouvrant la marche. Derrière les prêtres marqués d’une croix allaient les dignitaires conduits par le vice-roi, les capitaines puis les notables de Lisbonne et des faubourgs alentour. Tous tenaient à la main des cierges allumés. On les distinguait à peine, mais ce courant de feu en marche ne manquait pas de grandeur malgré la modestie de ses flammes. La population la plus proche du cortège s’y agglutina comme absorbée dans son sillage. Des bribes de répons flottaient dans les bouffées de vent. Ils entendaient les reprises en chœur monter sourdement comme un ressac. La procession se dirigeait vers le Tage où d’innombrables embarcations à voiles et à avirons étaient échouées ou attendaient dans quelques pieds d’eau.

    Un souffle de pierre sculptée selon le style exotique flamboyant du règne de dom Manuel semblait flotter sur le fleuve à une encablure de la plage. Gracieux comme un ouvrage de dame, le fort de Belém était léger comme un navire sous voiles. Posées sur le miroitement du fleuve, les treize naus des Indes mouillées en pleine eau étaient noires au contraire comme des châteaux forts, magnifiées par le contre-jour. Leurs équipages étaient massés tout au long des plats-bords

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