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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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piques dans des barques, avant de les hisser dans les airs par des sangles. Leur immolation, comme une réminiscence des libations propitiatoires d’Ulysse, annoncerait la dernière viande fraîche distribuée avec parcimonie. Viendraient les salaisons.
    — Seulement, comme à chaque appareillage, cette ordonnance administrative a été bouleversée dès l’arrivée des passagers à bord. Les officiers et les personnages importants ont aussitôt rempli leurs logements de leurs meubles et de leurs assistants.
    — Voire de parents inopinés, comme le neveu du vice-roi.
    — C’est clair et c’est assez naturel au fond. Du sommet de la hiérarchie jusqu’au moindre notable, chaque titulaire d’une place assignée a débordé, encombrant les espaces de circulation dévolus au service du bord de coffres et de ballots. Tu n’as qu’à voir le résultat.
    — C’est en effet un joli capharnaüm dans les coursives.
    — En plus, les domestiques et les esclaves vont dormir au seuil des portes de leurs maîtres. La nuit, vous devrez faire attention où vous mettez les pieds.
    Ils apprirent que les libertés contribuaient au désordre ambiant. Ces franchises de marchandises de retour étaient accordées au personnel embarqué selon son rang. Depuis le capitaine jusqu’au dernier matelot, des coffres et des ballots dont le volume et le nombre étaient fonction de la position hiérarchique permettaient d’abonder les soldes tout en réduisant à bon compte les dépenses de la couronne. Elles étaient exemptées de droits, à l’exception du denier à Dieu destiné au monastère des Hiéronymites de Belém. Un matelot disposerait ainsi du droit de rapporter à Lisbonne et de vendre en franchise dix quintaux de poivre et une caisse de liberté d’une valeur cent vingt fois supérieure à son salaire mensuel de mille réis. Les maîtres et les pilotes étaient titulaires de trente quintaux de poivre et de trois caisses. Chacun emportait aux Indes la pacotille qu’il troquerait contre des marchandises de retour. La caraque était un grand bazar car les marchands passagers emportaient des articles d’échange. Ils avaient chargé en aussi grande quantité que possible miroirs, quincaillerie et ustensiles de cuivre ou de fer, armes blanches, velours et draps de laine dont ils comptaient multiplier par quatre la valeur. Fruits secs, salaisons, vin, fromages et huile d’olive pouvaient rapporter jusqu’à sept pour un.
    —  Quem nada leva à India nada traz !
    — Qui n’emmène rien en Inde n’en rapporte rien, traduisit François.
    — L’horreur du vide.
    — Et cette horreur du vide encombre la caraque.
    Maître Bastião ajouta qu’un autre dicton plus pessimiste disait que le premier voyage était pour voir, le second pourcomprendre et le troisième pour faire des affaires, suggérant que, en dépit des apparences, la fortune ne sautait pas forcément au cou des voyageurs débarquant à Goa. Lui-même préférait exercer le dangereux métier de navigateur plutôt que négocier aux Indes. En tout cas, les passagers étaient répartis un peu partout, eux et leurs biens, selon leur influence, leur culot ou leur débrouillardise.
    — Selon leurs moyens aussi, j’imagine. Non ?
    Le maître d’équipage éclata de rire en bourrant l’épaule de François d’une poigne amicale. Lui-même, le contremaître Bento Martinho et le gardien Jose Baptista – les trois titulaires statutaires des volumes fonciers du navire – tiraient des profits substantiels de leurs fonctions. La plupart des soldats et des matelots avaient vendu un bon prix aux passagers les plus mal lotis leurs espaces personnels de l’entrepont et du gaillard. Pour les mieux situés, le loyer leur rapportait autant qu’un an de solde.
    — Les hommes supputent la valeur résiduelle de leur peau s’ils atteignent la fin du voyage et ils s’efforcent de l’optimiser.
    — Ça vaut le sacrifice d’un peu plus d’inconfort. D’autant plus que j’ai vu passer quelques hommes traînant des hamacas, remarqua Jean.
    — Tiens, tu connais ça ?
    — J’ai vu au nouveau monde ces couches suspendues que les Indiens nomment des hamacas. Les Espagnols en ont rapporté. C’est ingénieux et ça devrait plaire aux gens de mer.
    — Exact, confirma le maître. Ces lits de filets sont en train de gagner le monde maritime.
    — C’est paraît-il très confortable après quelques jours d’accoutumance de la colonne vertébrale. Tu le

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