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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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compliqué que pouvaient le croire les ignorants.
    — Quand on met le cap sur la nappe d’or en fusion, car c’est bien de l’or que l’on voit là-bas, elle s’enfuit sans se laisser approcher.
    — Comment cela se peut-il ?
    — C’est très lourd, l’or.
    — C’est vrai. Comment cela se peut-il ?
    — Comment peut flotter l’or ?
    — Puisqu’il est liquide, il est plus léger.
    — Admettons. Mais comment peut-il s’enfuir vélocement ?
    Quand l’auditoire s’échauffait de n’y rien comprendre, l’homme laissait tomber un argument irréfutable qui laissait cois les plus incrédules :
    — L’or vous court devant comme l’horizon.
    — Comme l’horizon ? C’est vrai ça ! Nous ne l’avons toujours pas vu de près depuis le départ de Lisbonne.
    — Aucune caravelle, même la plus rapide, n’est jamais parvenue à attraper l’horizon.
    Sa notoriété lui procurait de modestes revenus au titre de dispensateur de conseils de vie courante à travers tant d’étrangetés nautiques.

    Laissant l’or inaccessible naître au loin par son travers bâbord, Nossa Senhora do Monte do Carmo avait atteint la zone des alizés. Bien groupée autour de la nau amirale, la flotte courait toutes voiles pleines, semant la mer d’une constellation de croix de l’Ordre du Christ se détachant en rouge sur le beige un peu gris des voiles gonflées. L’armada était allègrement poussée vers le Brésil par le flux régulier qui tourne depuis des millénaires autour de l’Atlantique Nord et dont la branche tropicale souffle immuablement du nord-est. Bartolomeu Dias avait découvert ce phénomène puissant et mesuré en suivant la grande volte atlantique qui l’avait écarté de l’Afrique pour le ramener vers la formidable récompense de la découverte du cap de Bonne Espérance. Les alizés étaient la révélation des Portugais. Le sésame qui ouvrait la route des Indes par un itinéraire détourné, plus long mais paradoxalement beaucoup plus rapide, salvateur même puisqu’il évitait les calmes équatoriaux dans lesquels s’engluaient à mourir les mauvais pilotes et tous ceux qui n’étaient pas initiés à ce secret d’État. La compréhension des alizés était la première clé du cadenas compliqué qui interdisait l’accès à la route commerciale des Indes. Grâce à la domestication du vent, les pilotes et les équipages d’une génération moins aguerrie, moins orgueilleuse que celle des pionniers un peu fous, pouvaient maintenant faire route dans leurs sillages sans être des héros comme eux.

    Un roulis doux et ample faisait geindre les jointures de la caraque, craquer les cloisons et grincer les emplantures desmâts. Les passagers avaient repris vie après quelques semaines d’accoutumance léthargique à l’univers étrange des marins, comme si les alizés gonflaient tout autant les cœurs que les voiles. Ayant tombé leurs vestes, les néophytes coiffés de mouchoirs noués aux quatre coins crurent pouvoir déclarer hardiment que le voyage ne serait pas aussi terrible qu’on l’avait annoncé.
    — Les beaux parleurs qui nous prédisaient mille morts étaient de fieffés menteurs.
    — Des hâbleurs bien pusillanimes, lâcha d’un ton méprisant un jeune homme tout en noir, depuis le capelo , le bonnet à la phrygienne couronnant son front sombre jusqu’à l’immense cape qui le désignait comme un étudiant de Coimbra.
    Son vocabulaire rare échappait à la langue usuelle mais ses interlocuteurs se tapèrent sur les cuisses.
    — Tu as cent fois raison !
    — Il a les mots justes, non ?
    — Il a dit quoi, exactement ? Je n’ai pas bien entendu.
    — C’est un intellectuel.
    L’explication impressionna l’auditoire qui se réfugia dans un silence prudent.
    — En tout cas, ce qu’il dit des pessimistes est sacrément mérité.
    — La traversée sera très ennuyeuse mais nous constatons qu’elle sera supportable.
    — Où serait-on mieux au monde qu’à bord de cette magnifique et puissante Nossa Senhora do Monte do Carmo  ?

    Quelques passagers plus instruits, parce qu’ils étaient des rescapés d’une précédente traversée aux Indes et des miraculés d’un retour sain et sauf, étaient plus réservés. On ne les entendait pas car des journées de mer faciles avaient amené la caraque dans l’environnement euphorisant des alizés. Questionnés avec avidité par leurs compagnons de voyage, c’est tout juste s’ils se souvenaient

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