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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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sergent. Son traitement consistait encore en fumigations et en inhalations d’eucalyptus, en gargarismes au sirop de violette et en tisanes édulcorantes, en frictions au camphre et en sirops expectorants qui soulageaient le malade sans améliorer visiblement son état. Un cataplasme à la graine de moutarde très chaude avait fait hurler le patient, et Jean avait renoncé à ce révulsif trop brutal pour une peau d’aristocrate.

    Comme le chapelain, les pilotes et les maîtres d’équipages de la flotte, le barbier avait été nommé par le provedor de la Casa. Ce rustre obséquieux était natif de Caria, un des bourgs les plus en amont de la haute Zêzere, ce qui ne laissait pas présumer une grande agilité culturelle selon les marins d’Alfama. Un jugement à relativiser puisque les habitants de la vallée mettaient réciproquement au défi les Lisboètes de distinguer à vingt pas une gargoulette d’un mulot endormi. Le maître était en tout cas ulcéré de partager ses prérogatives avec un étranger apparemment plus savant que lui en médecine. Déjà avant l’appareillage, il vouait à Mocquet une inimitié haineuse depuis leur première rencontre accidentelle à la Maison de l’Inde. Il pratiquait avec une certaine dextérité des saignées répétées qui ne donnaient aucun résultat. Tout en sachant saigner dans les règles de l’art, Jean était extrêmement réservé quant à cette thérapie qui vidait de son sang un malade déjà affaibli. Il mettait en doute la capacité des bouillons revigorants d’apporter à un corps les principes vitaux qu’il perdait à chaque coup de lancette. Il n’avait cependant aucun titre à mettre en doute devant l’entourage du vice-roi une pratique universelle d’épuration des humeurs, à contester l’argumentation savante de l’université en opposant à ce barbier ordinaire une logique de bon sens. Sa perplexité restait entière, partagé qu’il était entre le respectd’une science réputée admirable et l’impression confuse d’une terrible erreur. Jean était en réalité terrorisé par l’hypothèse lancinante que la saignée salvatrice pût être en réalité une pratique homicide dont la médecine aurait un jour à rendre compte devant l’histoire des hommes et devant Dieu.

On se pressait ce jour-là au bastingage d’où l’on pouvait contempler avec un sentiment de gratitude une colonie de dauphins qui jouait avec l’étrave, passant d’un bord à l’autre, jaillissant toute ensemble, replongeant en souplesse sans soulever la moindre gouttelette d’eau. Le spectacle avait rameuté la foule sur le pont où l’on s’écrasait encore plus que d’habitude. Ceux qui ne voyaient rien s’informaient et renseignaient ceux de derrière. Les uns disaient que l’on approchait du Brésil. D’autres, que l’on voyait des sirènes et ils assuraient l’œil canaille et les mains en situation qu’elles avaient des seins en poire. Des seins comme des melons, surenchérit un agriculteur de l’Algarve qui disait avoir vu déjà des poissons-femmes dont la nature ressemblait tout à fait à celle d’une fille et que l’on entoura aussitôt d’un respect jaloux.
    Un homme dont les yeux semblaient décolorés d’avoir servi trop longtemps crut comprendre que l’on arrivait aux Indes. Il éclata en sanglots quand on s’esclaffa alentour en le traitant de vieil imbécile. Il serrait dans ses mains un bouquet fané. Sa femme avait cueilli ces fleurs. Il faisait le voyage pour les déposer sur la tombe d’un dominicain de la mission de la Guadalupe de Chaul. Leur fils. Et il savait qu’il n’y parviendrait pas.

    À part ce mélancolique, pour la première fois depuis le départ de Lisbonne, la caraque s’était brusquement animée d’exclamations joyeuses et de rires comme en émet une foule en fête. Juché sur le gaillard d’avant, Sebastiào déclamait une strophe de circonstance :
    « Déjà, ils naviguaient sur le vaste Océan, fendant les flots tourmentés. Les vents soufflaient avec douceur et gonflaient les voiles rondes des navires. Une blanche écume ourlait la mer là où les étraves labouraient l’onde sacrée que sillonnent les troupeaux de Protée. »
    François l’écoutait d’une oreille, tout occupé à suivre les ébats des dauphins, fraternisant avec un caporal qui croquait une gousse d’ail, un remède universel contre le mal de mer avait-il expliqué par une mimique suggestive. Calamiteux pour qui ne peut

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