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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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suivait encore un cours normal. Une preuve de cette normalité était l’ouverture d’un lupanar clandestin. Il avait commencé à fonctionner sous l’entrepont, sous le contrôle du gardien car la Casa fermait les yeux. L’onanisme ne la dérangeait pas, et pour le reste elle préférait de beaucoup ce commerce immoral à l’homosexualité de circonstance et aux tentations pédophiles qui avaient naguère causé des ravages dans la population fragile des mousses et des grumètes. Les quelques prostituées mêlées aux passagères étaient exfiltrées à tour de rôle du quartier des femmes par une écoutille dissimulée aux regards, les conduisant directement au pont inférieur sans franchir l’accès gardé par les soldats, d’ailleurs parfaitement au courant de la supercherie dont ils bénéficiaient hors de leurs gardes à titre de contrepartie. Quelques bagages sous une couverture trompaient facilement la vigilance et le comptage des sœurs, qui n’imaginaient même pas que des manigances aussi abominables neutralisaient leurs prières frénétiques pour que perdurât la moralité de leur troupeau.

    François avait beau scruter la coursive pendant des heures à travers les discontinuités des portières de leur poste d’observation, la senhora qui habitait pourtant tout près d’eux ne parut pas sur le tillac. Jean qui brocardait ses mines de matou déconfit lui avait rapporté d’un de ses séjours prophylactiques dans les appartements du comte que l’objet de ses rêves partait épouser son beau-frère, intendant de l’arsenal des galères de Goa. Elle prenait souvent le frais sur la dunette où il ne pouvait espérer accéder sans une autorisation expresse qu’il n’avait aucune chance d’obtenir.

Sur les instructions du pilote, le capitaine-major avait ordonné de faire route au sud pour reconnaître Madère. Le 15 avril qui était un mardi, on vit le pic du Teide. Chacun s’attendait à le voir monter de l’horizon comme cela était raconté par tous les voyageurs mais il apparut brusquement au matin sur tribord avant, haut dans le ciel. Du moins son sommet blanc de neige, translucide comme un quartier de lune en plein jour. Il flottait dans l’air car sa base était absorbée par le voile dû à l’humidité atmosphérique. Parce que l’on s’en rapprocha jusqu’à sentir distinctement l’odeur de terre, chacun espéra que l’on y ferait escale, puisque les vaisseaux de la Carreira da India y prenaient naguère des légumes et un excellent vin. Malheureusement, le temps pressait, et de toute façon la menace hollandaise avait fait interdire les escales de rafraîchissement. Le capitaine général ordonna de changer la route au sud-sud-ouest. Ceux qui n’avaient pas l’habitude de la mer ressentirent pour la première fois la frustration profonde d’une terre inconnue rangée à courte distance. De ses vallées devinées luxuriantes et calmes, de ses villages tout blancs accrochés aux collines, suggérant une vie bucolique plus enviable assurément que toute autre. Au larged’une île inaccessible, chaque passager d’un navire au long cours rêve ardemment d’y finir ses jours.
    Dans la nuit, le vent se mit à forcir et l’on constata le lendemain matin que Nossa Senhora da Ajuda et le galion Bom Jesus qui avaient sans doute manqué le signal de changement de route avaient perdu la flotte. Selon le code des signaux, la caraque amirale alluma pendant trois nuits un fanal dans la hune, ne comptant pas trop quand même sur ce lumignon pour rallier des navires hors de portée visuelle.

    L’Atlantique était d’un bleu d’azulejo. À contre-jour vers le sud, il luisait au loin dans un friselis étincelant comme une coulée d’or. Si la légende était exacte, le métal mythique pouvait bien être en train de naître là-bas sous la chaleur maximale du soleil de l’équateur. Les passagers accoudés au bastingage en débattaient à longueur de journée. Les plus excités s’étiraient au-dessus de la mer cramponnés d’une main aux haubans, comme s’ils étaient entraînés par leur main libre jetée en direction de l’or natif. Ils transpiraient d’énervement que l’on passât si près des sources de l’or sans prendre la peine d’aller en recueillir quelques seaux. Un marin illettré de Lagos qui connaissait les parages s’était fait une réputation d’érudit en expliquant à qui voulait l’entendre, sur un ton de docteur de Coimbra, que c’était plus

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