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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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pensons qu’il avait appris sa science au Portugal. Il fut en tout cas l’un de ceux qui ont transmis l’art lusitanien de la navigation au reste de l’Europe.
    — Mon arrière-grand-père était un vrai Portugais !
    François fut à nouveau parcouru par un frisson délicieux quand elle égrena un nouveau rire pour lui tout seul. Il s’enhardit à regarder la jeune femme dans les yeux. Margarida était un peu plus âgée que lui, sans doute d’un petit lustre. Il décida qu’elle sentait l’ylang-ylang. Du moins par ouï-dire car il n’avait pas la moindre connaissance des huiles aromatiques rapportées de l’Orient mythique par les navires de la route de l’Inde. Ces effluves étaient beaucoup trop coûteux et surtoutbien trop futiles et émollients pour atteindre jamais les communautés maritimes de Normandie. À Dieppe, hors des fumigations curatives en cas de maladie, se parfumer aurait fait honte comme un gaspillage, une faiblesse, une impudeur et une prétention sociale ridicule. Ylang-ylang rebondissait depuis longtemps dans son oreille comme une invitation lascive à tous les plaisirs sensoriels de l’Orient. Il était sûr que c’était ça. Le parfum. La magie de l’Inde, enfin. Ou déjà. Il débrouillait cette problématique d’ambiance tout en consacrant fébrilement toute son intelligence à soutenir la conversation la plus importante de sa vie.
    — Votre ancêtre a vraiment été le pilote de Jacques Cartier, senhora. Il était considéré à cette époque comme le meilleur navigateur du royaume de France. Et comme tous les gens de mer normands je connais la raison pour laquelle votre famille a perdu sa trace.
    François se sentait léger au point d’entrer en lévitation quand un cri rauque rendit brutalement tout son poids à son corps prêt à décoller, le faisant retomber des deux pieds sur le pont.
    — Margarida !
    L’appel en forme d’invective émanait des lèvres cireuses d’un des chaperons. Ou du moins de ce qui en restait après trois semaines d’intense mal de mer. Ses yeux avaient gardé assez de force pour briller de colère à travers leur détresse, au fond d’orbites creuses bistrées par la souffrance et la malnutrition. Il sembla à François que ce visage était tendu d’un vélin vierge, comme ceux qu’il travaillait à l’atelier.
    — Apaisez-vous, Zenóbia ! Je suis sortie respirer l’air marin parce que j’en ai un aussi grand besoin que vous et d’ailleurs que tout le monde à bord. Vous devriez en faire autant, plutôt que rester effondrée sur votre couche malsaine.
    — À qui parles-tu ainsi en aparté ?
    — Ma tante ! Je parle à un fidalgo français dont je sais à peine le nom, pour la raison bien étrange en vérité qu’il semble en savoir plus que nous-mêmes sur mon bisaïeul. La foule alentour est assez nombreuse pour rendre bouffonne toute idée de tête-à-tête comme vous dites. Alors, même siles convenances vous semblaient dépassées, étant veuve et non plus fille, vous ne me convaincrez pas de renoncer à la fin de son récit. Venez plutôt voir les dauphins !
    La malheureuse escorte se cassa sur le plat-bord, vomit en se recroquevillant puis s’enfuit pliée en deux, après un regard implorant. François, qui avait autrefois souffert terriblement du mal de mer au cours d’un premier embarquement comme novice, eut pitié d’elle. Il connaissait l’effet dévastateur de la nausée sur un estomac tordu par les spasmes, quand remontent des filets de bile âcre du tréfonds d’un corps et d’une âme vidés jusqu’à souhaiter la mort comme un bienfait.
    — Votre tante devrait effectivement respirer un air neuf sur le pont, senhora, et s’efforcer de se nourrir un peu. Elle est épuisée, et elle aura besoin de toutes ses forces quand viendront les maladies. Le mal de mer n’en est pas une. C’est un simple avertissement. Ce sera pire très bientôt.
    —  Voadores ! Voadores !
    Pour achever de rendre mémorable cette journée bénie, les poissons volants venaient de saisir l’occasion pour entrer en scène comme des cabotins. En réalité, les exocets, des petits corps vifs que l’on imaginerait issus du croisement d’un maquereau et d’une libellule, échappent à leurs prédateurs, thons et bonites en fuyant un instant leur milieu, planant quelques secondes au ras de la mer avant de plonger à nouveau dans un petit bouquet de gouttelettes vers les péripéties secrètes de la lutte sous-marine

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