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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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n’imaginaient même pas. Dans la plénitude de sa nouvelle vie, il eut honte de son ingratitude et de sa vanité.

François se glissa dans la pénombre de la timonerie et salua les hommes de quart. Comme les nouvelles se propageaient vite, ils étaient déjà au courant de ses fonctions sensibles et ils le regardèrent avec moins de méfiance que de curiosité.
    L’aiguille placée à la vue des timoniers était contenue dans une boîte cubique en bois vernis. L’intérieur du réceptacle de forme octogonale était peint en blanc, joliment décoré de volutes. La rose en papier semblait flotter dans l’air. Elle était structurée en trente-deux directions autour des huit vents principaux indiqués par de larges flèches ornementées, peintes à la détrempe. Le nord était marqué par un écu aux armes du Portugal. François était habitué à des roses plus petites, plus austères car imprimées en noir sur un carton plus épais, plus marin. Cette rose gracile, peinte peut-être par une femme, lui plut comme une démonstration de la possession tranquille de l’océan par les Lusitaniens. Elle indiquait que l’on suivait un rhumb au sud-est.
    Afin de vérifier l’ensemble des compas de la caraque et fort des ordres du pilote-major, François avait demandé que l’on apportât sur le tillac le compas du pilote et le compas de variation qui servait à mesurer la justesse des aiguilles en observant les astres. Il sortit les examiner attentivement, rentra dansla timonerie, recommença à plusieurs reprises son va-et-vient. À sa demande, les grumètes transportèrent les deux compas à l’intérieur, puis les ramenèrent sur le tillac sous le regard dubitatif des timoniers partagés entre respect et sarcasmes.
    — Quand s’est produit l’incident de la fille ?
    Ils se concertèrent, avançant des dates évasives sur lesquelles ils ne parvenaient pas à s’accorder. Un avorton trapu assis sur le banc de quart leva une main aux doigts poilus au bout d’un bras musclé.
    — C’était lundi dernier. Le jour où nous avons aidé à transporter ici les grilles de l’archevêque de Goa qui font l’objet de toutes les attentions. Même que je me suis écrasé l’index en les manipulant. Maître Baptista a ordonné de libérer l’entrepont pour y accueillir un afflux de malades. On ne pouvait paraît-il laisser se gâter à la pluie le travail du meilleur maître ferronnier de Tolède. Dites donc ! Je me demande comment fera monseigneur pour protéger ses œuvres d’art sublimes pendant la grande mousson. À moins de les planter à l’intérieur de son palais.
    Son rire lui secoua les épaules. Il désignait d’un doigt entortillé d’un chiffon sale quatre larges panneaux de ferronnerie portant un aigle bicéphale, solidement arrimés à la cloison tribord. Un capharnaüm de caisses et de ballots concourait déjà à encombrer le local, laissant juste assez de place pour manœuvrer les palans de l’appareil à gouverner.
    — C’est cet après-midi-là que Jorge est venu avec la fille lui montrer comment nous gouvernons. J’étais là. J’allais quitter mon quart. Découvrant ces ferrailles, il s’est emporté en criant que l’on prenait la timonerie pour un débarras, que cette fois-ci maître Fernandes allait piquer une colère et qu’elles allaient aussitôt partir ailleurs.
    — À mon avis, il voulait impressionner la demoiselle, glissa un grand échalas édenté par le scorbut.
    — Peut-être bien, Tinoco ! En tout cas, les ferrailles sont toujours là et c’est lui qui est parti !
    Il recommença à tressauter de rire, ses mains aux doigts largement écartées reposant sur le haut de ses cuisses comme des araignées de mer.
    — En réalité, ce n’est pas très gênant, et nous préférons tous voir le capitaine-major de bonne humeur. Pas vrai les gars ?
    — Magnifique. Comment t’appelles-tu ?
    — Simão pour te servir, mon petit maître !
    — Eh bien, Simão, mon sentiment est que ces œuvres d’art ne vont effectivement pas rester longtemps ici. Et je te garantis que c’est sur l’ordre du capitaine-major lui-même que tu t’écraseras un autre doigt en aidant à les transporter ailleurs.

    François les laissa interloqués par son assurance, fit ranger les compas portatifs et se rendit dans la chambre du pilote-major. Il était une demi-heure avant midi.
    — Maître ! Je crois pouvoir avancer que ton aide ne mérite pas la prison et que la fille n’y

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