Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
Vom Netzwerk:
est pour rien.
    Maître Fernandes était concentré sur le portulan de l’Atlantique, sur lequel il promenait un compas à tracer. Il leva la tête, lui lançant un regard distrait, sa main immobilisée mémorisant le geste en cours.
    — Le coupable, bien involontaire au demeurant, est l’archevêque de Goa.
    Dans un geste de colère, le pilote brandit son compas comme un couteau, la bouche ouverte de stupéfaction. François ne lui laissa pas le temps d’exploser. Il fit par jeu le geste de se protéger le corps des deux avant-bras croisés et reprit aussitôt :
    — Je n’entends ni injurier monseigneur ni encore moins te manquer de respect. Le jour de l’incident, on venait de déposer dans la timonerie les grilles de fer destinées au palais archiépiscopal. Je les ai vues. Elles sont énormes.
    — Et alors ?
    — Tu sais bien que João de Castro a écrit son impression que les masses de fer jouent peut-être un rôle indistinct dans la variation des aiguilles magnétiques.
    Maître Fernandes retomba sur son siège et resta un instant silencieux, médusé par le culot de ce jeune homme. Il se détendit parce qu’il était légalement le seul titulaire du savoirnautique à bord de la caraque, tapotant la paume de sa main gauche des branches de son compas replié, ce qui était moins un geste d’agacement que le signe d’une réflexion en cours.
    — Oui. João a suggéré, il est vrai, d’expliquer ainsi un affolement incohérent de ses aiguilles devant Mozambique.
    — Il est une référence incontournable.
    — Lui seul a émis cette hypothèse que personne n’a encore acceptée comme certaine. Si c’était vrai, on l’aurait vérifiée depuis longtemps. Et puis, à bord des vaisseaux de guerre, les aiguilles seraient rendues folles par les canons de fonte noire. Cette idée n’a aucun fondement véritable.
    François se planta sous le nez du pilote.
    — Maître ! Et si nous étions – il corrigea – si tu étais en train de confirmer la théorie de maître João ? J’ai fait plusieurs essais avec les deux autres aiguilles. Elles varient nettement quand on les porte à l’intérieur de la timonerie et reprennent leur ancienne direction quand on les ramène sur le tillac. Je serais à ta place, j’ordonnerais immédiatement que l’on enlève ces ferrailles élégantes mais nuisibles de là où elles sont, et qu’on les entrepose aussi loin du château qu’il est possible.
    — Et si, comme c’est probable, cela n’a aucun effet sur l’aiguille ? Qui supportera le ridicule de cette initiative spectaculaire qui mettra le capitaine-major en fureur ?
    — Va voir toi-même, et refais mes expériences, maître. La subtilité de ton art ne pourra qu’impressionner dom Cristóvão. De toute façon, qui à bord serait en mesure de mettre en doute tes affirmations même si elles étaient infondées ? Et je suis sûr qu’elles ne le seront pas.

    À compter de ce jour, François devint l’ombre discrète et attentive du pilote. Il le retrouvait chaque jour un peu avant midi sur le point le plus élevé de la dunette, à bâbord, côté du soleil, sous les regards glacés des dignitaires vêtus de noir. Les saluant obséquieusement, partagé entre souci de les flatter et tentation de les narguer, il disposait religieusement sur un tabouret tendu de velours bleu les deux objets résolvant le secret de la latitude : la dernière édition du Tratado del Esphera y del Arte del Marear de Francisco Faleiro ouvert auxpages des tables de déclinaison du soleil, puis l’astrolabe nautique qu’il déballait à gestes attentifs de son velours de protection.
    Il avait frissonné d’excitation la première fois qu’il avait pris en main l’astrolabe. Il avait pensé fortement à Guillaume, là-bas à Dieppe. C’était un disque de laiton épais d’un pouce et large comme une main ouverte, ajouré en forme de croix grecque circonscrite par un anneau large et plat portant graduées les distances zénithales du soleil. Au nadir, la croix s’évasait dans un élargissement du métal à la manière d’un pied de candélabre dont le but était de lester l’instrument qui pesait quelque cinq livres. Sur cette surface plane était poinçonnée la date 1608. Il était donc flambant neuf, et cela expliquait son éclat.
    — Que signifient ces quatre poinçons ?
    — Quatre étoiles à six branches encadrant la date, avec un G en bas. C’est la signature d’Agostinho Góis Raposo. Le

Weitere Kostenlose Bücher