L'arbre de nuit
meilleur facteur d’instruments de Lisbonne. Agostinho me l’a apporté juste avant notre appareillage.
L’alidade en forme d’éclair zigzagant pivotait autour d’un axe planté à l’intersection centrale des branches de la croix. Elle était barrée de deux larges pinnules sur lesquelles l’ombre et l’image du soleil jouaient et se rencontraient dans l’alchimie du secret de la latitude quand maître Fernandes officiait à midi, brandissant l’astrolabe à bout de bras. Il avait appris à François comment introduire son majeur dans l’anneau central de suspension, et glisser l’index et l’annulaire sous deux cornes améliorant la prise de part et d’autre. Parce que le pilote tenait son instrument comme une balance romaine, les curieux disaient alentour qu’il semblait peser le soleil. Sa déclinaison additionnée ou retranchée selon les cas de la distance zénithale mesurée à midi donnait sans autre mystère la latitude. L’opération ésotérique pour les sommités de la dunette était d’une simplicité qui rendait François assez fier d’appartenir aux initiés.
Il s’entendait désormais à merveille avec le pilote-major et cela agaçait les passagers importants. Oracle du navire, maîtreFernandes avait été rapidement séduit par les connaissances exceptionnelles du passager français. Alors qu’ils discutaient un matin de la meilleure manière de ranimer la vertu d’une des aiguilles devenue folâtre à la pleine lune, il lui demanda comment diable en savait-il autant ?
— Pourquoi es-tu tellement supérieur à cet imbécile de Jorge Rangel ? Ton prédécesseur renvoyé pour faute grave était un assistant titulaire instruit et nommé par la Casa.
François lui dit la passion des cosmographes dieppois pour les avancées de leur art et l’intérêt des écoles normandes pour la science nautique portugaise qu’ils étudiaient et admiraient. Leur communauté formait un noyau éclairé, modeste mais exemplaire.
Fernandes était lisboète. Son père, titulaire d’une charge honorable à l’arsenal des Indes, lui avait transmis un désir inassouvi en le poussant à étudier les mathématiques et la sphère afin de se présenter à l’examen de l’école des pilotes. Elle était alors hébergée dans l’arsenal. Le cosmographe major João Baptista Lavanha la dirigeait d’une main de fer. C’est lui qui venait de rédiger le nouveau règlement sur la formation, l’examen des connaissances, les devoirs et le statut des pilotes. C’était un maître, comme avant lui Pedro Nunes, son plus illustre prédécesseur.
François saisit l’occasion de faire valoir l’adhésion novatrice des Dieppois à la projection cartographique réduite selon le nouveau canevas de Mercator, qui résolvait le problème de la projection légitime de la sphère terrestre sur le plan de la carte.
— Nous renonçons tous par commodité à rétrécir les degrés de longitude depuis l’équateur jusqu’aux pôles. Les cartes marines sont fautives de ce fait.
— Nunes a proposé naguère des calculs permettant de compenser l’erreur fondamentale commise quand on établit les problèmes de navigation sur une carte plate. Personne ne s’en sert.
— Parce qu’ils étaient trop compliqués. Mercator propose une solution graphique. Il dessine la carte marine selon uneprojection allongeant la longueur des degrés de latitude de l’équateur au pôle.
— L’artifice est grossier. Le Flamand prétend résoudre la relation variable entre la latitude et la longitude en dessinant des cartes marines difformes.
— Les maîtres cartographes de Dieppe se passionnent pour ce canevas révolutionnaire. Son emploi est d’une simplicité incomparable au regard des horribles calculs suggérés par Nunes.
Maître Fernandes fronça les sourcils Il appréciait son nouvel assistant mais il trouvait qu’il en faisait trop pour son âge.
— Qu’il ait tort ou raison, la question est secondaire puisque la mesure de la longitude nous échappe comme un secret de Dieu. Mon souci est d’apprécier du mieux possible la justesse du compas et la route que nous parcourons chaque jour. Je les reporte sur des portulans qui ont fait leurs preuves et je les vérifie grâce à l’astrolabe. Ne perds pas ton temps en élucubrations.
Toutes voiles dehors, la flotte courait quelque huit cents lieues par jour. À la vitesse d’un Ave Maria , disait le pilote. Cette unité de mesure pieuse s’expliquait
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