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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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des meubles d’un marchand étaient comptabilisés pour être scrupuleusement reversés par la Casa aux ayant-droits indiqués par les dispositions testamentaires du défunt.

    Le vent commença à fraîchir, la mer à se creuser et le climat devint plus âpre. L’un des derniers jours de plein air avant que chacun se calfeutre à l’intérieur du navire, François lut à son cercle de femmes, à l’abri de la voile d’artimon, la légende de l’arbre triste ou arbre de nuit dans les Colloques des simples . Garcia da Orta avait présenté comme l’interlocuteur candide de ses dialogues un docteur Ruano, déclaré un ancien condisciple de l’université de Salamanque.
    « — Quel est donc cet arbre qui sent si bon dès que le soleil se couche et jusqu’à ce qu’il se lève ?
    — Je n’ai vu cette plante nulle part ailleurs qu’en Inde, à Goa.
    — Je sais qu’il a la taille d’un olivier et que ses feuilles ressemblent à celles du prunier. Dis-moi le nom et les vertus de ces fleurs. Leur senteur est laplus agréable que je connaisse quand je passe auprès d’elles. Ont-elles d’autres vertus qu’être douces à respirer ? Les gens de ce pays adorent ce parfum. On dit que cela explique leur penchant pour Vénus.
    — À tel point qu’ils préfèrent se priver de manger pour dépenser leurs biens en parfums. J’ai vu des rois faire joncher le sol de leurs palais de ces fleurs chaque nuit. Les Malais nomment cet arbre singadi et les Goanais parizataco . Ils racontent que la fille d’un grand seigneur nommé Parizataco tomba amoureuse du soleil qui, après l’avoir possédée, la délaissa pour d’autres amours. Elle se tua et fut brûlée selon la coutume de ce pays. De ses cendres naquit cet arbre dont les fleurs haïssent le soleil et ne se montrent pas en sa présence. »
    — Quelle belle histoire ! dit doucement Margarida. Est-ce pour ne pas l’entendre que le soleil s’est caché aujourd’hui, pétri de honte et de remords ?
    Elle disparut dans la descente conduisant aux appartements du gaillard. L’hiver s’installa alentour.

Le 10 juillet, un nuage noir fondit sur la flotte et une rafale fit gîter brutalement la caraque sur bâbord. Les extrémités des basses vergues plongèrent dans l’eau tandis que l’Atlantique s’engouffrait sur le tillac, balayant quelques malchanceux qui s’étaient installés à l’abri du plat-bord, expédiés à la mer cul par-dessus tête par le coup de roulis. Quand le vacarme des caisses et des meubles précipités contre les cloisons cessa, le navire resta d’interminables secondes dans cette position instable, hésitant entre chavirer et se rétablir.
    Rassemblés dans un même réflexe professionnel, le maître d’équipage siffla l’ordre d’affaler en grand les huniers et le timonier fit mettre rondement le gouvernail tout à gauche pour lancer le redressement. Nossa Senhora do Monte do Carmo reprit son allure avec majesté, dépassa la verticale en ranimant un grand fracas quand le mobilier désarrimé glissa en sens inverse de bâbord à tribord, et retrouva son calme après quelques balancements comme si de rien n’était sauf les écoutes rompues battant l’air comme la chevelure ophidienne d’une Gorgone en colère. Les visages décomposés reprirent leurs couleurs tannées. Jean aida à relever une cinquantaine de blessés dont quelques-uns étaient condamnés à court terme par la gangrène, et l’on dégagea avec beaucoupd’efforts trois morts, écrasés et noyés dans les fonds par des futailles désarrimées.

    L’armée navale se dispersa définitivement. Non par fronde. Ayant pris la mesure de leur insuffisance et perdu temporairement leur morgue, les capitaines avaient réuni leurs conseils avant de faire réduire la voilure et prendre une allure de cape aussi rapide que possible tout en ménageant le gréement. Les réponses à la résolution de l’équation étant multiples et les navires étant plus ou moins bons marcheurs, les décisions individuelles avaient désorganisé la flotte. Les ordres pour la route, signifiés lors des conseils solennels du capitaine-major, pesaient peu devant l’austère réalité de l’environnement.
    Grâce à l’entremise de Simão le timonier, un prélart vint renforcer leur façade donnant sur le tillac. Il était fixé de guingois car il avait été taillé dans un hunier trapézoïdal mis au rebut. Achevant de transformer leur loggia rudimentaire en sombre cahute

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