L'arc de triomphe
calvados. »
Il s’en alla. Ravic leva les yeux et aperçut Jeanne, assise à quelques tables de lui. Elle était entrée pendant qu’il conversait avec le garçon. Il ne l’avait pas vue entrer. Elle était assise avec deux hommes. Elle l’aperçut tout à coup. Elle pâlit sous son hâle. Elle demeura quelques secondes assise, immobile. Puis, d’un brusque mouvement, elle repoussa la table, se leva et vint droit à lui. Tandis qu’elle marchait, son visage sembla s’apaiser et retrouver sa douceur. Ses yeux seuls demeurèrent fixes et transparents comme des cristaux. Ils parurent à Ravic plus éclatants que jamais. Ils lui semblèrent briller avec une furieuse intensité.
« Tu es revenu ? » dit-elle d’une voix basse et étranglée.
Elle vint tout contre lui. Un instant, elle parut sur le point de lui jeter les bras autour du cou. Elle n’en fit rien. Elle ne lui serra même pas la main. Elle répéta seulement :
« Tu es revenu ? »
Ravic ne répondit pas.
« Depuis quand es-tu revenu ? questionna-t-elle de la même voix basse.
– Depuis deux semaines.
– Deux… et je n’ai pas… et tu n’as même pas…
– Personne ne savait où tu étais. Ni à ton hôtel, ni au Schéhérazade.
– Au Schéhérazade… mais j’étais… »
Elle s’interrompit.
« Pourquoi n’as-tu pas écrit ?
– Je ne le pouvais pas.
– Tu mens.
– Bon. Alors, je ne le voulais pas. Je ne savais même pas si je reviendrais.
– Tu mens encore. Ce n’est pas une raison.
– C’en est une. Je pouvais revenir ou ne pas revenir. Tu ne comprends pas ?
– Non. Ce que je comprends, c’est que tu es ici depuis deux semaines, et que tu n’as pas fait le moindre effort…
– Jeanne, interrompit Ravic d’une voix calme, ce n’est pas à Paris que tu as pris ces épaules bronzées. »
Le garçon passa près d’eux avec un air de limier. Il lança un regard à Jeanne et à Ravic. Il était encore plein de la scène qui s’était produite tout à l’heure. Comme par hasard, il enleva en même temps qu’une assiette, deux fourchettes et deux couteaux qui se trouvaient sur la nappe à carreaux rouges et blancs. Ravic s’en aperçut.
« Tout va bien, dit-il.
– Qu’est-ce qui va bien ? demanda Jeanne.
– Rien. Quelque chose s’est produit ici, tout à l’heure. »
Jeanne le regarda fixement.
« C’est une femme que tu attends ici ?
– Grand Dieu non ! Des clients ont eu une querelle. L’un d’eux a été blessé. Cette fois-ci, je ne suis pas intervenu.
– Intervenu ? »
Il vit qu’elle comprenait tout à coup. Son expression changea brusquement.
« Que fais-tu ici ? On va encore t’arrêter. Je me suis renseignée. C’est six mois de prison, la prochaine fois. Il faut que tu t’en ailles ! Je ne savais pas que tu étais à Paris. Je croyais que tu ne reviendrais plus. »
Ravic ne répondit pas. Elle insista :
« Je croyais que tu n’allais plus jamais revenir. »
Ravic la regarda.
« Jeanne…
– Non, non ! Ce n’est pas vrai ! Il n’y a rien de vrai ! Rien.
– Jeanne, dit Ravic d’un ton las, tu ferais mieux de retourner à ta table. »
Des larmes lui vinrent aux yeux.
« C’est ta faute, jeta-t-elle. C’est toi qui es cause de tout ! »
Brusquement elle lui tourna le dos et s’en alla. Ravic se rassit. Il regarda machinalement son verre de calvados et fit un mouvement comme s’il allait boire. Il n’en fit rien. Tant qu’il avait parlé à Jeanne, il était demeuré calme. Maintenant, il sentait l’agitation le gagner. C’est étrange, songeait-il, comme les muscles de la poitrine peuvent vibrer sous la peau. Pourquoi ceux-là seulement ? Il souleva son verre et examina sa main. Elle ne tremblait pas. Il vida son verre à demi. Tout en buvant il sentait le regard de Jeanne rivé sur lui. Il ne la regarda pas.
Il alluma une cigarette et acheva de vider son verre. Jeanne l’observait toujours. « À quoi s’attend-elle ? se demanda-t-il. Pense-t-elle que je vais me soûler devant elle ? » Il appela le garçon et régla. Au moment où il se leva, Jeanne se mit à causer vivement avec un de ses compagnons. Elle ne leva pas les yeux lorsqu’il passa près de sa table. Un sourire était figé sur son visage durci et sans expression.
Ravic erra par les rues et se retrouva soudain devant le Schéhérazade. Le visage de Morosow s’éclaira.
« Bravo, mon fils ! Je commençais
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