L'arc de triomphe
arrière vers l’obscurité totale. C’était suffisant. Des pensées honnies, peut-être, mais elles étaient nées et demeuraient vivantes, et cela suffisait.
Avant qu’il ne se mît à lire, la sonnerie du téléphone retentit. Il ne décrocha pas le récepteur.
La sonnerie se renouvela plusieurs fois. Lorsque l’appareil fut redevenu silencieux, il demanda au concierge qui venait d’appeler.
« Elle n’a pas laissé son nom.
– C’était une femme ?
– Oui.
– Avait-elle un accent ?
– Ça, je n’en sais rien. »
Ravic pouvait entendre le concierge manger tout en parlant.
Il demanda le numéro de Veber. Personne ne l’avait appelé de là. Ni de la clinique de Durant. Il vérifia également à l’hôtel Lancaster. L’opératrice du standard lui confirma que personne ne l’avait demandé. C’était donc Jeanne. Elle était probablement au Schéhérazade.
Au bout d’une heure, la sonnerie retentit de nouveau. Ravic posa son livre. Il se leva et marcha jusqu’à la fenêtre. Il s’appuya au rebord et attendit. La brise légère apportait un parfum de lis. Le réfugié Wiesenhoff avait remplacé les œillets flétris, à sa fenêtre. La maison sentait maintenant comme une chapelle funéraire, ou comme le jardin d’un cloître par une nuit chaude. Ravic se demanda machinalement si Wiesenhoff avait fait cela par piété pour la mémoire du vieux Goldberg, ou simplement parce que les lis poussent bien dans des boîtes. Le téléphone s’était tu. « Je dormirai peut-être ce soir », pensa-t-il et il se remit au lit.
Jeanne entra pendant qu’il dormait. Elle tourna le commutateur et demeura sur le seuil.
« Tu es seul ? dit-elle.
– Non. Éteins et va-t’en. »
Elle hésita une seconde. Puis elle marcha jusqu’à la salle de bain et ouvrit la porte.
« Un mensonge, dit-elle en souriant.
– Va au diable. Je suis fatigué.
– – Fatigué ? Et de quoi ?
– Fatigué. Adieu. »
Elle se rapprocha de lui.
« Tu viens de rentrer. Je t’ai téléphoné toutes les dix minutes. »
Elle le regardait. Il ne lui dit pas qu’elle mentait. Elle avait une robe différente. Elle a couché avec le type, l’a renvoyé chez lui et maintenant elle vient me surprendre et montrer à Kate Hegstrœm, qu’elle croyait trouver ici, que je ne suis qu’un damné coureur de filles chez qui les femmes viennent la nuit à l’improviste, et qu’il vaut mieux éviter. Il sourit malgré lui. Les actions parfaites provoquaient toujours son admiration, même lorsque son propre intérêt était en jeu.
« Qu’est-ce qui te fait rire ? demanda Jeanne vivement.
– Je ris, c’est tout. Éteins la lumière. Elle te rend affreuse. Et va-t’en. »
Elle ne fit pas attention à lui.
« Comment s’appelle la grue avec qui tu étais ? »
Ravic s’assit à demi.
« Sors d’ici, ou je te lance quelque chose à la tête !
– Ah ! je vois… »
Elle se mit à l’étudier.
« C’est donc ça ! C’en était déjà là ! »
Ravic étendit la main et prit une cigarette.
« Ne te rends pas ridicule. Tu vis avec un autre homme, et voilà que tu viens me jouer la grande scène de jalousie ! Retourne à ton acteur et laisse-moi en paix !
– C’est autre chose.
– Évidemment.
– Bien sûr, que c’est autre chose ! éclata Jeanne. Tu le sais bien, que c’est différent. Moi, c’est quelque chose dont je ne suis pas responsable. Ça ne me rend pas heureuse. C’est arrivé je ne sais pas comment…
– Oui, on ne sait jamais comment ça arrive.
– Toi… Tu étais toujours si sûr de toi ! Si suffisant que tu me rendais folle ! Rien ne pouvait te faire perdre ton assurance ! Comme je haïssais ta supériorité ! Combien souvent je l’ai haïe ! J’ai besoin d’enthousiasme ! Il me faut quelqu’un qui soit fou de moi ! Qui ne puisse pas vivre sans moi ! Toi, tu peux vivre sans moi… Tu es glacé ! Tu es vide ! Tu ne sais rien de l’amour ! Tu n’as jamais été vraiment avec moi ! Je t’ai menti quand j’ai dit que tout cela était arrivé parce que tu avais été absent pendant deux mois. Cela serait arrivé même si tu étais resté ! Ne ris pas ! Je vois bien la différence, je la vois clairement. Je sais que l’autre n’est pas intelligent, qu’il n’est pas comme toi. Mais il se donne à moi, je suis la seule chose qui compte à ses yeux ! Il ne pense qu’à moi et ne connaît que moi ! Et
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