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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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repartis, alors les républicains reviennent. Ceux qui ont survécu. C’est un véritable carrousel.
    –  Oui, dit Ravic. Un véritable carrousel. »
    Dans une des chambres, la patronne aperçut une photographie en couleurs de l’ancien roi Alphonse.
    « Enlevez-moi ça, Célestine », dit-elle. La fille décrocha le cadre. « Tenez, mettez-le ici. » La patronne appuya la photographie au mur, et passa dans la pièce voisine. Là se trouvait le portrait du généralissime Franco. « Décrochez celui-là aussi. Placez-le avec les autres.
    –  Je me demande pourquoi ces Gomez n’emportent pas leurs portraits avec eux, dit Ravic.
    –  Les réfugiés qui s’en retournent n’emportent presque jamais ces choses. Les portraits ont de la valeur quand on est à l’étranger. De retour chez eux, ils n’en ont plus besoin. Et puis les cadres sont encombrants et les vitres sont fragiles. Ils les laissent presque toujours dans les hôtels. »
    Elle plaça les portraits avec d’autres, dans le corridor.
    « Les images saintes peuvent rester, décida-t-elle en découvrant une madone aux couleurs criardes. Les saints sont neutres.
    –  Pas toujours, dit Ravic.
    –  Dieu a toujours son heure dans les moments difficiles, répondit-elle. J’ai même vu, ici, des athées prier. » D’un mouvement énergique, elle rajusta son corsage. « Vous n’avez jamais prié, quand vous étiez enfoncé jusqu’au cou ?
    –  Bien sûr. Mais je ne suis pas athée. Je ne suis qu’un croyant malgré moi. »
    Un domestique montait l’escalier. Il transportait une pile de cadres.
    « Vous redécorez ? questionna Ravic.
    –  Naturellement. Il faut du tact avant tout dans notre métier. C’est-ce qui fait la bonne renommée d’un établissement. Surtout avec le genre de clientèle que nous avons. Ils sont part iculièrement sensibles sur ce point. Ils n’aimeraient certainement pas vivre dans une chambre où leur plus grand ennemi les fixerait sans cesse du haut d’un cadre doré. N’ai-je pas raison ?
    –  Tout à fait. »
    La patronne se retourna vers le domestique.
    « Mettez tout ça là, Adolphe. Non, tenez, ici plutôt, à la lumière, pour que nous puissions les voir. »
    L’homme s’exécuta en grommelant.
    « Qu’allez-vous accrocher aux murs ? demanda Ravic. Des tableaux champêtres, ou des animaux, ou l’éruption du Vésuve ?
    –  Seulement s’il en manque, répondit-elle. Autrement, je vais remettre les anciens.
    –  Quels anciens ?
    –  Ceux qui y étaient avant, et que mes clients avaient laissés, en allant prendre la direction du gouvernement. Les voici tous. »
    Elle indiqua le mur à gauche du corridor. Le domestique avait aligné les cadres face à ceux qu’on venait de décrocher. Il y en avait deux de Karl Marx, trois de Lénine dont l’un était à demi recouvert d’une feuille de papier gommé, Trotsky et quelques reproductions en blanc et noir de Negrin et d’autres républicains espagnols dans des cadres plus petits. Ils étaient certes moins resplendissants et moins hautement coloriés que les Alfonse, les Primo de Rivera et les Franco, qui leur faisaient vis-à-vis. Cela formait un étrange spectacle, ces deux rangées de théories opposées qui se regardaient en silence, et entre les deux l’hôtelière parisienne, avec le tact et la sagesse ironique de sa race.
    « Je les ai mis de côté lorsque ces messieurs sont partis, expliqua-t-elle. Les gouvernements ne durent guère de nos jours. Vous voyez que j’ai eu raison. Il faut voir loin pour réussir dans le métier d’hôtelier. »
    Elle fit accrocher les portraits, sauf celui de Trotsky qu’elle fit remporter à la cave, n’étant pas suffisamment édifiée sur son compte. Ravic examina le portrait de Lénine dont une partie était recouverte de papier gommé. Il gratta le papier et découvrit une autre tête, celle de Trotsky souriant à Lénine. C’était évidemment un partisan de Staline qui avait ainsi dissimulé le visage de Trotsky.
    « Tenez, dit-il, un autre Trotsky. Probablement un souvenir des beaux jours de l’amitié et de la fraternité. »
    La patronne lui enleva le portrait des mains.
    « Vous pouvez jeter celui-ci, dit-elle, il est sans valeur : chaque moitié fait du tort à l’autre. Mais gardez le cadre, recommanda-t-elle au valet. C’est du chêne. Ça peut servir.
    –  Qu’allez-vous faire des autres ? demanda Ravic. Des Alfonse et des Franco ?
    –  Ils iront à

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