L'archer démoniaque
peut, dit Sir William l’air confus, qu’il soit resté derrière les chasseurs quand ils ont acculé le cerf dans Savernake Dell. Après tout, ça relevait de ses fonctions.
— Mais vous estimez qu’il a pu passer devant, prendre l’arc qu’il avait caché, tuer votre frère et s’enfuir ?
Sir William releva le coin de son manteau et gratta de son ongle sale la tête de flèche dorée qui y était cousue. Il s’apprêtait à répondre lorsque Ranulf déboucha du fourré à grand bruit.
— Vos hommes vous attendent, Sir William ! cria-t-il.
Puis il s’assit, dos contre un arbre, jambes étendues. Il entreprit de tailler une branche avec sa dague tout en fredonnant entre ses dents.
— Vous croyez vraiment que Verlian a tué votre frère ?
— Sir Hugh, il avait de bonnes raisons et en avait les moyens.
— C’est pourtant illogique, n’est-ce pas ? fit remarquer Corbett. Verlian est un homme du Sussex dont la charge est profitable. Il a une fille ; il savait sans nul doute qu’en abattant son seigneur il risquait une exécution sommaire.
— Un homme est capable de tout, Sir Hugh, quand il a le sang bouillant et qu’il perd la tête.
— Mais Verlian, et je sais que je peux le lui demander, n’était pas un inconscient téméraire. Un chef verdier est un homme patient, rusé et raisonnable. Je présume qu’au début il n’élevait pas d’objections à ce que Lord Henry s’intéresse à sa fille ?
— Il fermait les yeux, admit Sir William. Mais Alicia a une volonté de fer et une langue affûtée comme un rasoir.
— Et qui y a-t-il d’autre ? insista le magistrat.
— Frère Cosmas, le prêtre de St Oswald-sous-les-Arbres. Comme je vous l’ai dit, mon frère était un homme dur. Cosmas a été soldat, lui aussi, jusqu’à ce qu’il rencontre Dieu. Il faisait partie de l’escorte d’Henry, comte d’Huntingdon.
— Qui d’autre encore ?
— Mon frère avait des façons bien à lui, Sir Hugh. Il se souciait peu de Dieu et moins encore de ses serviteurs.
— Il n’aimait pas les prêtres ?
— En effet, Sir Hugh, il n’aimait pas les prêtres. Il n’aimait pas ce qu’il appelait leurs marmonnements, leurs discours malsains. Henry avait visité les universités de Salerne et de Bologne et avait eu vent des nouvelles connaissances qui viennent de l’Orient. Il prétendait qu’il y avait plus dans l’homme que ce qu’enseigne l’Église. Il collectionnait les grimoires, les livres rédigés par les magiciens. Il se rendait souvent dans la forêt. Jocasta, une sorcière, et Blanche, sa fille simple d’esprit, y vivent. Mon frère leur avait donné une chaumière et un petit terrain.
— Pourquoi ? s’étonna Corbett. Lord Henry était-il généreux ?
— Non. Jocasta est arrivée voilà trois ou quatre ans, en traînant sa fille derrière elle. Elle a prétendu qu’elle avait été chassée par les bourgeois de Rye. Mon frère l’a reçue seul dans la grand-pièce du manoir d’Ashdown. Ils ont conversé en privé pendant des heures. Ensuite j’ai appris qu’il lui avait offert une chaumine et, quand il séjournait ici, une fois par semaine environ, il allait la voir sans escorte.
— Dans quel but ?
— Les serviteurs disent qu’il s’intéressait à la sorcellerie. Que Jocasta sait jeter des sorts.
— Est-ce vrai ?
— Non, je ne crois pas. Un jour mon frère a donné l’hospitalité à un magicien errant. Cet homme affirmait pouvoir demander à Satan de sortir de l’Enfer. « Oui, a rétorqué mon frère en hurlant de rire, mais viendrait-il ? » Non, pour être franc, Sir Hugh, il se rendait sans doute là-bas pour une autre raison. À dire vrai, je n’ai aucune preuve que Jocasta ou sa fille soient des sorcières.
— Et votre demi-soeur ?
Sir William s’étrangla de rire.
— Lady Madeleine, prieure de St Hawisia ? Elle a toujours été et sera toujours un Lord Henry en femme. Elle est entêtée, arrogante et ne plie devant personne.
— Était-elle en bons termes avec votre frère ?
— Comme deux chats, Sir Hugh. Ils se faisaient bonne mine, mais restaient sur leurs gardes. Ils tournaient l’un autour de l’autre, hérissés de colère, montrant les dents, mais ils se battaient rarement.
— L’opposition de deux volontés, n’est-ce pas ?
— Sir Hugh, St Hawisia est au coeur de la forêt. Allez interroger ma demi-soeur quand bon vous semblera. Je suis sûr qu’elle vous fera bénéficier
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