L'archer démoniaque
entendu.
— Ranulf, s’exclama Corbett, tu n’as pas écouté un mot de ce que je viens de dire !
Le jeune clerc, tout abattu, grommela une excuse. Corbett se demanda in petto si c’était la première fois que le célèbre Ranulf-atte-Newgate était aussi épris.
— Sexto, nous savons que Sir William a aidé son seigneur, le prince de Galles. C’est sans doute lui qui a ramené Gaveston à Ashdown. L’indomptable Lady Madeleine, sa soeur, lui a, en l’occurrence, prêté main-forte. Je pense que l’homme que soeur Fidelis a vu se glisser chez la prieure était en fait Gaveston, le favori. Il s’est probablement réfugié au prieuré en attendant l’arrivée du prince. Quoi d’autre ?
— Septimo, ajouta Ranulf, il y a un truand, un vagabond. Il ne semble pas malfaisant, mais il a mené contre Lord Henry une campagne exaspérante en affichant des messages secrets, en faisant allusion à la « Rose de Rye ». Nous savons à présent que les taverniers se sont suicidés à cause de la ribauderie de Lord Henry.
— Bon, réfléchit le magistrat. De plus, nous avons le cadavre de la jeune femme tuée par une flèche dans la gorge. Son corps nu est enterré en forêt, puis exhumé et déposé devant les portes du prieuré. Ensuite, nous aimerions interroger plus avant certains notables locaux. Le franciscain, frère Cosmas, n’avait aucune bienveillance pour feu son seigneur et nous n’ignorons pas qu’il fut archer autrefois.
— Tout comme notre tavernier, l’interrompit Ranulf. Et il y a aussi cet ermite. Il a pu savoir, voir ou ouïr quelque chose.
— C’est vrai, reconnut Corbett. Mais il manque quelqu’un, n’est-ce pas ? Ou plutôt deux personnes.
Pancius Cantrone, le mystérieux mire. Quelles relations entretenait-il avec Lord Henry ?
— Et qui d’autre ? interrogea Ranulf.
— Eh bien, le plus érudit des clercs, la dame que nous venons de rencontrer.
Le jeune homme sursauta.
— Ne bondis pas comme un lièvre en rut !
Corbett lui tapota le genou.
— Et ne laisse pas ton esprit s’égarer. Alicia Verlian est une jeune femme redoutable. Je parierais qu’elle peut tendre un arc et atteindre sa cible.
— Mais elle était chez elle le matin du meurtre !
— Non, Ranulf, son père a dit qu’il l’y avait laissée. Comment pouvons-nous être sûrs qu’elle ne l’a point suivi, munie d’un arc et d’un carquois ? Nous sommes certains que quelqu’un a laissé des armes dans l’un des chênes creux. Et elle a aussi un cheval. Elle pourrait tuer aussi vite et aussi bien que n’importe qui d’autre.
— Je ne crois pas, répondit Ranulf avec une moue de défi entêté.
— Là, là, l’apaisa son maître. Mais revenons à la chasse. Que savons-nous encore ?
— Que le roi ne nous dit pas tout.
— C’est exact.
— Et pourquoi les Français désiraient-ils que ce soit Lord Henry qui conduise les émissaires en France ? Voilà, conclut Ranulf, l’essentiel du mystère que nous devons éclaircir.
Le magistrat se leva.
— Je te laisse donc à de douces pensées et à la composition d’un poème. Ce soir nous irons au manoir d’Ashdown. Il abrite tous nos adversaires.
Corbett se frotta les mains.
— Et, bien sûr, il y en a un que je ne dois point oublier, mon ennemi juré, ce Lucifer incarné, le seigneur Amaury de Craon.
Le magistrat repartit à grands pas vers la taverne. Son serviteur le regarda s’éloigner, puis se prit le visage entre les mains. Il ne pouvait comprendre ce qui lui était arrivé. Il déjeunait en paix et voilà qu’une minute plus tard, il regardait un visage qui lui faisait bondir le coeur et courir plus vite le sang dans les veines. « Libidineux comme un connil ! » avait un jour dit Maltote. Mais pas cette fois ! Il ne se sentait pas aiguillonné par le désir. Il avait juste envie d’être en compagnie de cette femme, de s’asseoir sur une chaire et d’étudier les différentes expressions qui traversaient ce délicieux minois. Ainsi captivé, Ranulf eut à peine conscience de l’ombre qui se glissait dans le jardin et s’arrêtait près de lui jusqu’à ce que l’hôte inattendu racle des pieds et tousse à grand bruit. Ranulf leva les yeux.
— Ah, Maître Baldock ! Que cherches-tu ?
— Ce matin, répondit le palefrenier, il n’y avait personne pour s’occuper de vos chevaux. Et comme je suis un homme libre...
— Tu cherches un gagne-pain, Maître Baldock ? sourit Ranulf.
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