L'archer démoniaque
Lord Henry, après boire, avait annoncé que quand ils seraient à Rye, il ferait certaines révélations à son frère et que Cantrone serait embarqué de force pour la France.
Ranulf se frotta le front. Il essaya d’effacer le joli visage d’Alicia de son esprit afin de se concentrer sur l’énigme que son maître lui exposait.
— On dirait, Ranulf, reprit le magistrat, que le roi Philippe a réclamé Lord Henry Fitzalan qui, lui, désirait mettre un terme à ses affaires privées avec Philippe. Il révélerait le secret et trahirait l’homme qui le lui avait confié, en échange, sans doute, de terres, de châteaux ou de trésors plus aisés à transporter.
— Et s’il était arrivé quelque chose à Lord Henry pendant son séjour à l’étranger ?
Ranulf, à présent, s’enflammait pour l’affaire en cours.
— Sir William aurait transmis au roi les instructions secrètes de son frère.
— Je m’en doute.
— Mais pourquoi Fitzalan n’a-t-il point révélé ces secrets à Édouard d’Angleterre ?
Corbett éclata de rire.
— Notre roi aurait exigé qu’on lui en fasse part pour rien comme le doit un vassal à son seigneur.
Le magistrat leva les yeux vers les poutres du plafond. Il renifla et sentit les diverses odeurs qui montaient de la cuisine. La taverne était silencieuse ; seul l’escalier craquait de temps en temps. Quelque part dans le chenil un chien grogna sourdement et, dans la nuit, un ivrogne se mit à beugler un hymne. C’était un endroit animé, mais isolé, se dit Corbett, idéal pour abriter les rencontres du prince Édouard et de son frère de sang, Gaveston.
— Alors pourquoi Cantrone a-t-il disparu ? s’inquiéta Ranulf.
— Sir William pense qu’il a pu s’enfuir. Tu comprends, Sir William avait l’habitude d’être traité en serviteur principal de son frère, il allait donc de-ci de-là, ce qui, bien entendu, lui a fourni un bon prétexte pour escorter Gaveston dans ses allées et venues à partir de la côte sud. À présent, son esprit est tourneboulé par les obsèques de Lord Henry et le doigt de la vindicte pointé sur lui. Il a par mégarde dévoilé à Cantrone les plans de son frère à Rye. Le mire aurait blêmi, montré des signes de nervosité et d’agitation et se serait retiré dans sa chambre. Le lendemain il est parti au prieuré de St Hawisia. Sir William y a expédié un messager. À ce qu’il semble le mire italien a soigné les doigts enflés de soeur Fidelis, a repris sa monture et s’en est allé, mais on n’a pas retrouvé la moindre trace de son passage. Il peut s’être enfui. Il peut avoir été attaqué par des bandits de grand chemin, par le Hibou ou par un assassin.
— Ou l’un des hommes à la solde de Craon ? s’exclama Ranulf.
— Craon est peut-être impliqué, admit le magistrat.
— Et il doit aussi être fort satisfait.
— Oui et non. Lord Henry est mort. Si ça se trouve, Cantrone aussi. Pourtant ils étaient tous les deux du genre à avoir laissé le secret quelque part, par écrit, en sûreté, comme gage de leur sécurité.
Corbett se pencha sur les volumineux sacs qu’il avait emportés du manoir, ouvrit les fermoirs et déboucla les lanières. Il vida le contenu – un rouleau de parchemin et deux livres d’heures – sur le lit.
— Bon. Sir William, cherchant à nous plaire, m’a donné une copie des lettres échangées par Lord Henry et le roi Philippe.
Il prit le rouleau. Ranulf constata que les missives avaient été cousues ensemble par un clerc.
— Je les ai donc parcourues. C’est fort peu de chose : des compliments et des salutations. Rien qu’on ne puisse trouver dans la chancellerie d’un grand seigneur anglais. Je suis certain que le comte de Surrey possède des lettres de ce type échangées entre lui et différents souverains du continent.
Il soupira.
— Mais je les examinerai à nouveau.
— Et les besaces ? demanda Ranulf.
Corbett ôta le lacet qui fermait l’une d’entre elles.
— Je n’ai pas trouvé grand-chose dans la chambre de Cantrone. Des herbiers, des listes d’épices, quelques documents sur les remèdes, les potions et les philtres. Je pense que notre mire gardait ses secrets sur lui.
Il s’empara d’un livre d’heures.
— Lord Henry l’avait acquis il y a peu.
Il le tendit à Ranulf qui ouvrit le volume doré sur tranches. Les pages étaient faites du vélin le plus coûteux, propre et souple, et la calligraphie en était
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