L'archer démoniaque
tiré le cadavre jusqu’ici, l’a dévêtu et l’a enterré. Il a ôté la chemise, la robe, les bottes, la ceinture et le manteau de la pauvre malheureuse.
Il s’interrompit et observa un écureuil qui grimpait avec vivacité le long d’un arbre.
Ranulf jeta un coup d’oeil surpris à son maître qui se tenait immobile, bouche entrouverte et sourcils froncés.
— Messire, vous avez bien dit que le corps avait été déshabillé ?
— Oui, soupira Corbett. Mais pourquoi dévêtir un cadavre ?
— Parce qu’on a besoin de ses vêtements ? avança l’ermite en plaisantant à moitié.
— Non, non, dit Corbett en secouant la tête. L’assassin n’était pas un voleur ordinaire. Il attendait cette jeune femme. Je ne crois pas qu’elle l’ait rencontré par hasard. Cela ressemble beaucoup à un piège tendu avec soin. Notre archer peut s’offrir un bon arc et un carquois de flèches. Alors pourquoi aurait-il eu envie des habits d’une pauvre femme ?
Il donna un petit coup de poing sur l’épaule de Ranulf.
— Allons, clerc de la Cire verte, réfléchis ! Souviens-toi du cadavre, des cheveux coupés courts, du corps musclé !
— Un homme ! s’exclama Ranulf. Cette femme voyageait déguisée en homme ! C’est pour cela qu’on a enlevé les vêtements. Si on retourne à la taverne pour demander « Vous souvenez-vous d’une jeune femme ? » la réponse, bien sûr, sera négative !
— Dans la vie comme en amour, fit remarquer Corbett, la vérité est toujours la même : très claire pour qui la cherche ! Frère Cosmas, Odo, puis-je vous demander une faveur ? Pourriez-vous creuser autour de cette tombe peu profonde ?
Frère Cosmas lui jeta un regard noir.
— Je vous le demande en grâce, ajouta le magistrat d’un ton calme. J’en ferai d’ailleurs ma part.
À ces mots frère Cosmas s’empara des outils. Il tendit la houe à Odo et ils se mirent à bêcher pendant que Corbett prenait Ranulf à l’écart.
— Connais-tu un peu ces forêts, Ranulf ?
— Pas du tout.
— Très bien. Retourne au Diable dans le Bois. Trouve le jeune Baldock : il est dorénavant palefrenier et maître des écuries de Sir Hugh Corbett, envoyé du roi. Sir William ne soulèvera pas d’objections. Dis-lui que je lui remettrai le contrat ce soir avant de partir à Rye.
— Rye ! s’exclama le jeune homme.
— Oui, Rye. Baldock a deux tâches : d’abord te conduire à Savernake Dell et, quand tu en auras fini, te ramener à la taverne. Ensuite demander à Sir William une lettre de décharge de service.
— Que dois-je chercher à Savernake Dell ?
— Eh bien, tout indice prouvant que Sir William a été malade.
— Sir Hugh !
— Et, plus important encore, regarde le temps qu’il faut pour courir de l’endroit où Lord Henry a été tué jusqu’à l’autre côté du vallon et en revenir. Baldock t’assistera : il sait où se tenait chacun.
Ranulf s’éloigna. Corbett rejoignit les autres. Ils avaient creusé dans la tombe, mais n’avaient déterré qu’un bouton d’argent, pas plus gros qu’un groat {22} .
— L’assassin aurait-il caché les habits ici ? demanda frère Cosmas. S’il a pris la peine de dévêtir le corps ?
— Exact.
Corbett s’accroupit au bord de la fosse, yeux mi-clos, et écouta les bruits de la forêt. Frère Cosmas avait pris la tête des opérations et le magistrat se méfiait. Le franciscain était intelligent. Il n’avait pas essayé d’étendre les recherches : comme un subalterne, il avait suivi les ordres de Corbett à la lettre et creusé l’endroit davantage, sans tenir compte de l’idée logique que le tueur n’avait sans doute pas excavé une fosse profonde pour enterrer les vêtements, les enfouir et déposer le corps par-dessus. Odo, lui aussi, était morose et troublé. La main du magistrat glissa vers la garde de son poignard. Il avait fait montre d’outrecuidance ! Il se trouvait là avec deux étrangers, tous deux susceptibles d’être coupables, et pourtant il était seul avec eux dans la forêt où n’importe quel accident pouvait se produire. Il se leva, jurant à voix basse de ne jamais tourner le dos à ces hommes.
— Je vous ai montré l’emplacement, protesta Odo, et j’ai bêché. Nous n’avons rien découvert, sauf un bouton.
Corbett parcourut le talus du regard. Ces deux hommes étaient-ils des assassins ? Odo l’avait-il conduit ici parce qu’il n’avait pas le choix ? Le
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