L'archer démoniaque

sait-elle ? aboya Ranulf.
    Il était mal à l’aise. Le bordel ravivait ses souvenirs, ce qui le gênait car son coeur appartenait à présent à la chaste et belle Alicia.
    — Nous ignorons tout, répliqua la rousse avec audace.
    Ses mots furent accueillis avec des hochements de tête et des murmures d’acquiescement.
    — Celle qui pourrait vous en parler, ajouta une femme aux cheveux de lin au bout de la table, c’est Cecilia.
    — Et où se trouve-t-elle ?
    — Elle est partie, expliqua Roheisia. Lord Henry lui a fait quitter la maison.
    — Pour quelle raison ?
    — Nous l’ignorons. Nous avons entendu dire qu’elle avait logé dans une taverne de la ville, puis qu’on l’avait envoyée à l’étranger.
    — Pourquoi Lord Henry aurait-il fait cela ?
    — Je ne sais pas. Il l’a rachetée à Françoise et a payé ses services en bon or. Cecilia s’en est allée et nous n’avons pas eu d’autres nouvelles d’elle.
    — Il se pourrait donc qu’elle soit encore à Rye ?
    — Peut-être, commenta la rousse. Mais Maîtresse Roheisia a raison. Lord Henry s’était épris d’elle. Il a partagé sa couche à maintes reprises puis elle est partie.
    — Cela arrive-t-il souvent ?
    — Si un seigneur s’amourache d’une jouvencelle, il peut racheter son contrat et l’installer dans une chambre privée pour en jouir tout seul.
    Roheisia haussa une épaule et fit un clin d’oeil au magistrat pour lui indiquer qu’elle voulait lui en dire plus, mais ailleurs.
    — Voilà, ajouta-t-elle en se levant. Messire, si vous n’avez pas d’autres questions à poser à mes compagnes... Il faut qu’elles se reposent.
    Corbett regarda les visages qui l’entouraient, mais ne put rien déceler prouvant que ces dames de la nuit étaient disposées à l’aider. Il les remercia, donna deux pièces d’argent à Roheisia pour offrir à chacune un gobelet de vin et retourna avec elle dans la salle. Roheisia ferma l’huis derrière elle et claqua des lèvres.
    — Je suis désolée, sourit-elle. Votre argent vient de réveiller ma mémoire. Françoise était proche de Cecilia, mais, comme nous toutes, elle n’aurait jamais mis un frein à la chance de l’une de ses amies. Devenir la maîtresse d’un grand seigneur était le début d’un avenir prometteur.
    — Mais ? interrogea le magistrat.
    — Cecilia est partie il y a environ deux mois. Un soir j’ai trouvé Françoise céans, dans une terrible colère. Elle ne m’a pas expliqué ce qui s’était passé, sauf ce que vous venez d’apprendre : que Lord Henry avait fait embarquer Cecilia sur un navire pour l’envoyer à l’étranger.
    — Pourquoi ?
    — Je l’ignore. Mais Françoise a précisé qu’elle avait fait une minutieuse enquête sur les différents bateaux qui mouillaient à Rye. Apparemment c’est le capitaine d’un cogghe qui lui aurait appris ce qu’avait fait Lord Henry.
    — Et ?
    — Françoise a simplement ajouté qu’elle apprendrait à ce débauché à traiter Cecilia comme il l’avait fait. Je lui ai demandé ce que cela signifiait, mais elle n’a rien répondu.
    — Françoise a-t-elle laissé des papiers personnels ? s’enquit Ranulf. Des documents, des lettres ?
    Corbett sortit une pièce d’or fin de son escarcelle. Les yeux de Roheisia brillèrent de convoitise.
    — Françoise savait écrire et lire.
    — Et Cecilia ?
    — Peut-être.
    — À quoi ressemblait Cecilia ? interrogea le magistrat.
    — Oh, elle était jeune, élancée, très belle, avec des cheveux d’or qui tombaient presque jusqu’au sol. Elle en était très fière. C’était Françoise qui la coiffait. Notre jeune Cecilia avait beaucoup de succès auprès des seigneurs. Françoise demandait fort cher en échange de ses faveurs.
    Elle regarda la pièce d’or.
    — Je vais voir ce que je peux faire.
    Roheisia quitta la salle après leur avoir proposé une collation que Corbett refusa. Un vague soupçon émergeait dans son esprit.
    — Que pensez-vous de tout ceci ? le questionna Ranulf quand ils furent seuls.
    — Je ne sais pas. Attendons de voir ce que notre dame de la nuit peut découvrir pour nous.
    — Nous devrions la suivre, le pressa le jeune homme, et fouiller cet endroit de fond en comble.
    Corbett fit non de la tête.
    — D’abord, Ranulf, cela ne ferait que nous aliéner ces belles demoiselles. Ensuite, Françoise est absente depuis un mois. Je suis certain que notre bonne Roheisia a déjà pris