L'archer démoniaque
connaissance de ses documents et papiers. Elle sait qu’il y a quelque chose qui pourrait nous intéresser et elle est allée le chercher. Si nous commençons à taper du pied et à faire tinter nos épées, je pense qu’on ne nous le donnera pas.
Roheisia revint, une liasse de parchemins au bord graisseux en main. Elle la tendit à Corbett, mais ne la lâcha que lorsqu’il lui eut donné la pièce d’or. À la lueur d’une chandelle, il parcourut en hâte les différentes feuilles. Une ou deux étaient des listes d’achats ; il y avait une lettre, énigmatique et sèche. Corbett soupçonna que c’était un message destiné à l’un de ses clients, ou du moins une ébauche qu’on n’avait jamais expédiée. Il leva les yeux. Roheisia l’observait avec attention.
— Ne rusez pas, Madame, l’avertit-il. Je ne prodigue point d’or en échange d’une coupe vide. Vous connaissiez déjà tout cela quand nous sommes arrivés !
— Oh, il y a un indice là, admit-elle. Mais pas grand-chose.
Le magistrat continua à feuilleter les parchemins et trouva enfin ce qu’il cherchait : le brouillon d’une missive adressée à Cecilia Hocklewell à la taverne Chambard à Dieppe. Il se sentait un peu coupable. Françoise s’exprimait en amante de Cecilia plutôt qu’en amie, jurant qu’elle lui manquait terriblement et qu’elle reviendrait un jour. Corbett remarqua la phrase : « quand ta gloire aura été restaurée ». Il lança un coup d’oeil à Roheisia.
— « Quand ta gloire aura été restaurée », Maîtresse Roheisia ? Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?
Elle lui répondit par un regard dénué de toute expression. Corbett roula le vélin et le rangea dans son escarcelle.
— Madame, je suis venu en tant qu’officier du roi. Vous savez que Françoise été assassinée dans cette même forêt où a été abattu Lord Henry. Ce dernier n’était pas un simple client de votre maison. Lui et Françoise avaient un lien commun : Cecilia. Lord Henry l’a enlevée pour en faire, officiellement, sa maîtresse, mais il l’a embarquée de force. Françoise a fait de soigneuses recherches. Elle a retrouvé Cecilia qui a, semble-t-il, refusé de revenir jusqu’à ce que, comme le dit Françoise, « sa gloire » soit restaurée.
Il serra avec violence le poignet de Roheisia.
— Et à présent, Madame, je veux une explication !
Roheisia se dirigea avec dignité vers une chaire et s’y assit. Elle s’installa comme une reine, mains ballantes.
— Je hais les hommes. Je les hais parce que ce sont des hypocrites qui croient qu’ils peuvent acheter tout ce qui est précieux. Ils se pavanent céans, avinés, bouche baveuse, braguettes avantageuses, comme s’ils se trouvaient dans une cour de ferme. J’appréciais, et même aimais Françoise, mais, au fil des années, mes sentiments se sont refroidis. C’est elle qui a introduit Cecilia, une fille du Kent, dans la maison. Je n’ai jamais compris si elle aimait Cecilia comme sa fille ou comme un homme aime une femme. Françoise se méfiait de Lord Henry, mais l’a laissé emmener Cecilia. Quand elle a découvert qu’elle avait disparu, elle est devenue folle. La marche de cette maison, le plaisir de nos hôtes, tout a été oublié ! Lord Henry est revenu et elle l’a affronté. Je n’ai rien ouï de leur conversation hargneuse, si ce n’est que Lord Henry riait et se gaussait à son habitude. Françoise ne voulait pas abandonner et elle ne cessa de hanter le port. Elle allait d’un endroit à l’autre. Parfois elle s’absentait des jours entiers. Elle maudissait Lord Henry et proclamait que lui et sa famille paieraient pour ce qu’ils avaient fait. Ça ira {24} , c’est tout ce que je sais.
— Et la gloire de Cecilia ? intervint Ranulf.
— Elle faisait sans doute allusion à son visage. Je ne suis pas sûre de ce qu’a fait Lord Henry : quand il avait bu, il pouvait être vicieux. Il existe des hommes, Messire, qui aiment battre les femmes, les voir saigner avant de prendre leur plaisir avec elles.
— Et vous pensez que c’est ce qui est arrivé ? demanda Corbett. Que Lord Henry a frappé Cecilia à un tel point qu’il l’a expédiée à Dieppe pour cacher le scandale ?
— C’est possible.
— Et donc Cecilia ne rentrerait qu’une fois ses blessures guéries ?
— Là encore, c’est possible. Il se peut aussi que Françoise soit allée à Ashdown pour avoir une confrontation avec
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