L'archer du Roi
sorte
que l’Inquisition s’empara de lui.
Il se tut, le regard tourné vers l’horizon, puis se signa.
— Voilà ce qu’est ton Taillebourg, j’en mettrais ma
main au feu. C’est un dominicain, et la plupart des inquisiteurs sont des
chiens du Seigneur.
Puis il posa sur Thomas son œil unique.
— Je me demande pourquoi on les appelle les chiens du
Seigneur.
— C’est par plaisanterie, expliqua Thomas. Cela vient
du latin Domini canes : les chiens du Seigneur.
— Cela ne me fait point rire, commenta le gentilhomme
d’un ton rogue. Qu’un de ces bâtards parvienne à te mettre la main dessus et tu
te retrouves avec des tisonniers chauffés à blanc dans les yeux et à remplir la
nuit de tes hurlements. On m’a dit qu’ils ont mis la main sur Guy Vexille, et
j’espère qu’ils lui ont fait souffrir mille morts.
— Ainsi, Guy Vexille serait leur prisonnier ?
s’étonna son interlocuteur.
En effet, frère Germain lui avait appris que son cousin
s’était réconcilié avec l’Église.
— C’est ce qu’on m’a dit. On m’a dit aussi qu’il a
chanté des psaumes sur le chevalet de torture de l’Inquisition. Et nul doute
qu’il leur ait révélé que ton père possédait le Graal, et qu’il fit voile un
jour jusqu’à Hookton pour le trouver, sans résultat. Mais qui l’accompagna
jusqu’à Hookton ? Moi, et nul autre. Aussi, je suis convaincu que la
mission de Coutances était de me mettre la main dessus, de m’arrêter et de me
traîner à Paris. En même temps, ils ont dépêché des gens en Angleterre afin d’y
glaner tous les renseignements possibles.
— Et de tuer Eléonore, compléta Thomas d’une voix
blanche.
— Et ils nous le paieront.
— Et voici qu’ils sont à nos trousses jusqu’ici.
— Quoi ? s’écria messire Guillaume avec un
sursaut.
Thomas désigna du doigt les trois barques de pêche qui, à présent,
se dirigeaient tout droit sur eux. Compte tenu de la distance, ils ne
parvenaient pas à distinguer leurs occupants, mais elles se rapprochaient.
Yvette, qui arrivait à la poupe munie du petit déjeuner de sa moitié, fait de
pain, de jambon et de fromage, vint rejoindre les deux amis, intriguée. Elle
lâcha alors un juron que seule une fille de pêcheur pouvait connaître et courut
quérir son homme.
Les yeux d’Yvette étaient accoutumés à la mer. Elle avait
immédiatement compris que ces barques n’étaient pas des barques de pêche, ne
fût-ce que parce qu’il y avait bien trop d’hommes à bord. Au bout d’un moment,
Thomas, dont les yeux étaient plus accoutumés à rechercher les ennemis parmi
les feuilles vertes, parvint enfin à apercevoir les silhouettes des occupants,
dont certains portaient des cottes de mailles. Quand on n’avait pas l’intention
de tuer, on ne prenait pas la mer en cotte de mailles.
— Ils auront des arbalètes, prédit Villeroy.
Le géant, qui les avait rejoints sur le pont, était en train
d’attacher les cordelettes de sa vaste cape de cuir. Il laissa errer son regard
alternativement sur les barques qui se rapprochaient et sur les nuages
accrochés dans le ciel, comme s’il pouvait conjurer l’apparition d’un vent
favorable. Mais sur cette mer lisse comme du verre, il n’y avait pas l’ombre
d’une ride annonciatrice de brise.
— Des arbalètes, répéta-t-il, l’air sombre.
— Tu veux que je me rende ? lui demanda messire
Guillaume, mais d’un ton acide qui sentait le sarcasme.
— Ce n’est point à moi de dire à Votre Seigneurie ce
qu’elle doit faire, répondit Villeroy d’un ton non moins sarcastique, mais
m’est avis que vos gens pourraient peut-être aller chercher quelques grosses
pierres dans la cale.
— Et que veux-tu en faire ?
— Que ces chiens enragés essaient un peu d’aborder, et
ils verront ce que je m’en vais leur balancer. Ces viles coquilles de noix… Un
caillou dans le cul, et ils ne feront pas les fiers, ces coquins, quand ils se
retrouveront à barboter empêtrés dans leur cotte de mailles… Pas commode de nager
quand on est emmailloté dans du fer… ricana-t-il.
Les pierres furent dûment remontées et Thomas prépara ses
flèches et son arc. Robbie revêtit sa cotte de mailles et passa l’épée de son
oncle à son flanc. Les deux hommes d’armes de messire Guillaume se postèrent à
ses côtés sur le passavant, car c’était là que se ferait toute tentative
d’abordage ; c’était à cet endroit que le plat-bord
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