L'archer du Roi
mais avaient vite battu en retraite lorsque l’ours
s’était tourné vers eux en se dandinant.
— C’est encore loin, Durham ? s’enquit Eléonore
dans sa langue maternelle, le français.
— Nous y serons demain, je pense, répondit Thomas, les
yeux toujours fixés sur l’obscurité profonde au-dehors. Elle a demandé quand
nous serions à Durham, précisa-t-il à l’adresse du père Hobbe.
— Prions Dieu pour que ce soit vraiment demain, dit le
prêtre.
— Demain, tu pourras te reposer, promit Thomas à
Eléonore.
Elle était enceinte. L’enfant, si Dieu le voulait, naîtrait
au printemps. Thomas ne s’était pas encore accoutumé à l’idée de devenir père.
Il ne se sentait pas encore prêt à prendre une telle responsabilité, mais
Eléonore était heureuse et il aimait à lui faire plaisir, aussi lui disait-il
qu’il se réjouissait comme elle. Et parfois, c’était vrai.
— Et demain, nous aurons nos réponses, compléta le père
Hobbe.
— Non, demain, nous poserons nos questions, rectifia
Thomas.
— Dieu ne permettra point que nous ayons fait tout ce
chemin pour être déçus, répliqua le bon père.
Pour couper court à toute discussion, il sortit du sac leur
maigre repas.
— C’est tout ce qu’il reste du pain. Nous devrions
garder un peu de fromage et une pomme pour notre petit déjeuner. (Il bénit la
nourriture, puis il partagea le pain en trois.) Mangeons avant la tombée de la
nuit.
Avec l’obscurité s’installa un froid mordant. Il tomba une
brève averse, puis le vent se calma. Thomas, qui dormait près de la porte, fut
réveillé peu après que le vent eut cessé de souffler parce qu’une lumière
brillait au nord, dans le ciel.
Il se redressa. Et ce qu’il vit lui fit oublier le froid, la
faim, lui fit oublier tous les petits désagréments de la vie, car ce qu’il
voyait, c’était le Graal. Le Saint-Graal, le plus précieux de tous les legs du
Christ, perdu depuis plus de mille ans… Il le voyait rougeoyer dans le ciel,
éclatant comme du sang, scintillant comme l’auréole d’un saint, et illuminer le
firmament d’une multitude de rayons éblouissants.
Thomas avait envie d’y croire. Il avait envie que le Graal
existe. Il voulait se convaincre que la découverte du Graal ferait disparaître
le mal de la terre en l’engloutissant dans ses profondeurs. Il avait
désespérément envie de croire, tellement envie que, en cette nuit d’octobre, le
Graal lui apparut, semblable à une grande coupe incandescente qui éclairait le
ciel du nord. Ses yeux se remplirent de larmes, sa vue se brouilla, l’image
devint floue, mais elle resta là.
Une vapeur s’élevait du vase sacré. Derrière, disposés sur
plusieurs rangées qui s’élevaient vers les hauteurs du ciel, des anges
déployaient leurs ailes couleur de feu. Le ciel du nord tout entier baignait
dans une brume dorée et écarlate qui éclairait la nuit comme pour envoyer un
signe à Thomas l’incrédule.
— Ô Seigneur, pria-t-il à voix haute, en repoussant sa
couverture et en allant s’agenouiller sur le seuil glacé, ô Seigneur !
— Thomas ?
Eléonore, à côté de lui, s’était réveillée. Elle se mit sur
son séant et suivit son regard.
— Il y a le feu, dit-elle en français d’une voix
effrayée. C’est un grand incendie !
— C’est un incendie ? répéta Thomas.
Puis il se réveilla tout à fait. Il vit alors qu’un feu
brûlait à l’horizon, un grand feu dont les flammes projetaient dans les nuages
une lueur rougeoyante en forme de coupe.
— Il y a une armée qui passe par là-bas, chuchota
Eléonore. Regarde !
Plus loin, une grande lueur illuminait le ciel. Des lueurs
semblables, ils en avaient vu d’innombrables dans le ciel de France ;
c’étaient celles des flammes reflétées par les nuages sur le passage de l’armée
anglaise, là où faisaient rage les incendies qu’ils allumaient au fur et à
mesure de leur avancée en Normandie et en Picardie.
Thomas, déçu, continuait à scruter l’horizon d’un œil
incrédule. Quoi, c’était une armée ? Ce n’était pas le Graal ?
— Thomas ? s’inquiéta Eléonore.
— Ce n’est qu’une rumeur, murmura-t-il comme pour lui.
Il était le fils bâtard d’un prêtre, et il avait été élevé
avec les Saintes Écritures. Or, dans l’Évangile selon saint Matthieu, on
annonçait qu’à la fin des temps il y aurait des guerres et des rumeurs de
guerres. D’après les
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