L'archer du Roi
l’Angleterre, mais Villeroy, affirmant ne
pas connaître cette côte, craignait de ne pas pouvoir y trouver refuge si le
temps se gâtait.
— Et à cette époque de l’année, il est aussi changeant
que l’humeur d’une femme, ajouta-t-il.
Comme pour lui donner raison, ils durent affronter de
violents grains d’une pluie mêlée de neige qui cinglaient l’eau et le bateau,
coupant la visibilité sur plusieurs encablures. Messire Guillaume insista de
nouveau pour changer de cap tant que le bateau était dissimulé à la vue par les
grains, mais Villeroy s’y refusa avec entêtement. Thomas en déduisit que le
géant craignait d’être accosté par des Anglais qui ne demanderaient pas mieux
que de capturer un bateau français.
Un nouveau grain vint les arroser. La pluie rebondissait sur
le pont et la neige recouvrait d’une fine pellicule blanche les parties de
drisses et de voilure orientées à l’est. Villeroy craignait de voir sa voile se
déchirer en deux, mais n’osait affaler la toile car chaque fois que les grains
se calmaient, laissant derrière eux une mer blanche d’écume et secouée de
vagues, le Saint-Esprit était toujours en vue, et toujours un peu plus
près.
— Il est rapide, avoua-t-il à contrecœur, et Lapoullier
connaît son bateau.
Cependant, le jour d’hiver déclinait et avec la nuit, le Pentecôte aurait une chance de s’échapper. Ses poursuivants ne l’ignoraient pas ;
sans doute imploraient-ils le Ciel de leur accorder un petit supplément de
vitesse. Inexorablement, ils se rapprochaient, comblant la distance pouce par
pouce. Mais le Pentecôte restait en tête. La côte avait disparu à
présent. Les deux navires étaient seuls, jetés sur un océan agité et plongé peu
à peu dans le noir. Et lorsque la nuit fut presque complète, le premier trait
enflammé jaillit de la proue du Saint-Esprit.
Il avait été tiré par une arbalète. Les flammes trouèrent la
nuit, s’élevèrent en arc de cercle et replongèrent dans le sillage du Pentecôte.
— Renvoie-lui une flèche ! gronda messire
Guillaume.
— Trop loin, répondit Thomas.
Une bonne arbalète surpasserait toujours un arc de frêne.
Mais pendant que l’on rechargeait l’arbalète, l’archer anglais avait le temps
de courir pour avoir sa cible à portée de flèche et d’en tirer une
demi-douzaine. Hélas, perdu dans l’obscurité grandissante, Thomas n’avait pas
cette possibilité, et il ne voulait pas prendre le risque de gâcher des
munitions. Il ne lui restait plus qu’à patienter. Un second trait de feu
déchira la nuit, s’élevant vers les nuages, puis s’abîma lui aussi dans les
flots.
— Elles volent moins bien, commenta Will Skeat.
— Qu’as-tu dit, Will ? demanda Thomas.
— Ils enveloppent la tige dans un chiffon, et ça les
ralentit. As-tu déjà envoyé une flèche enflammée, Tom ?
— Non, jamais.
— Ça demande une portée de cinquante pas, expliqua le
vieux maître tout en suivant des yeux la troisième flèche qui plongeait dans
l’eau, et ça empêche la précision.
— Celle-ci était plus près, intervint messire
Guillaume.
Villeroy était en train de remplir d’eau de mer un baril
qu’il avait posé sur le pont. Pendant ce temps, Yvette avait grimpé avec
agilité sur le gréement pour aller se percher sur les barres de flèche et
hissait des seaux de toile remplis d’eau pour arroser la voile.
— Pouvons-nous utiliser des flèches enflammées ?
demanda messire Guillaume. Cette chose-là doit avoir la portée nécessaire.
Il désigna du menton la monstrueuse arbalète du géant.
Thomas traduisit la question à Will Skeat, dont le français était encore
rudimentaire.
— Des traits enflammés ? s’interrogea le vieil
homme en plissant le front. Il faut de la poix, Tom, et il faut tremper
l’étoupe dedans et ensuite attacher très solidement l’étoupe, mais en
effilochant un peu les bords pour que le feu brûle gentiment. Il faut que le
feu prenne profondément dans l’étoupe, pas seulement au bord, parce qu’il ne durerait
pas, et quand il brûle bien et profond, on envoie le trait avant qu’il entame
la tige.
— Non, traduisit Thomas, nous ne pouvons pas.
Messire Guillaume poussa un juron, puis se retourna en
voyant la première flèche enflammée s’abattre sur la coque. Mais le projectile
avait touché trop bas à la poupe, si bas que les flammes furent aussitôt
éteintes par une vague avec un chuintement.
— Il
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