L'archer du Roi
gens, insista-t-il.
— Si tu continues à hésiter, fit observer Robbie, nos
ennemis seront mis au courant. Ils nous attendront.
— Ils ne sauront pas où nous attendre, ni quoi penser,
objecta Thomas.
Il avait répandu toute une série de rumeurs contradictoires
sur le but de la sortie, dans l’espoir d’embrouiller copieusement l’ennemi.
— Mais nous n’allons plus tarder, promit-il à son ami.
— Mais, par Dieu, qui veux-tu trouver de plus ?
Allons-y maintenant !
Par bonheur, le même jour, un navire accosta à Tréguier et
il en sortit trois hommes d’armes flamands qui vinrent rejoindre la garnison.
Thomas les rencontra dans une taverne au bord de la rivière. Ils lui
racontèrent qu’ils s’étaient enrôlés dans les lignes anglaises, à Calais, mais
qu’on ne se battait pas assez là-bas et que, de ce fait, les perspectives de
faire des prisonniers fortunés étaient trop minces. Ils venaient tenter leur
chance en Bretagne. C’est ainsi qu’ils étaient arrivés jusqu’à La
Roche-Derrien.
Thomas tenta de convaincre leur chef, un homme maigre à la
bouche tordue, et dont la main droite était privée de deux doigts. Le Flamand
l’écouta, grogna quelques mots pour signifier qu’il avait entendu et dit qu’il
réfléchirait.
Le lendemain matin, les trois Flamands firent leur
apparition à la taverne des Trois Renards en se déclarant prêts à le rejoindre.
— Si nous venus ici, c’est pour battre nous, expliqua
leur chef, qui s’appelait Lodewijk, alors ici nous sommes.
— Fort bien, alors partons maintenant !
s’impatienta Robbie.
Thomas eût préféré grossir encore ses rangs, mais il avait
déjà suffisamment attendu.
— Oui, nous partons, répondit-il à son ami.
Puis il alla trouver Will Skeat pour lui demander de veiller
sur Jeannette. Cette dernière éprouvait de l’affection pour Skeat et lui
faisait confiance. De son côté, Thomas avait été assez confiant pour confier à
la jeune femme le livre de son père.
— Nous serons de retour dans six ou sept jours, lui
dit-il.
— Que Dieu soit avec toi, répondit Jeannette en se
serrant quelques instants contre lui. Et ramène-moi mon fils.
Et le lendemain, à la pique du jour, entourés d’une brume
qui déposait des perles d’humidité sur leurs longues cottes de mailles, les
quinze cavaliers prirent le départ.
11
Lodewijk – il affirmait s’appeler sir Lodewijk, ce qui
déclenchait les ricanements de ses deux compagnons – refusait de parler
français, prétendant que cela lui faisait mal à la langue.
— Ces Français sont ordure, affirmait-il. Le mot est
juste, ja ? Ordure ?
— Oui, confirma Thomas, le mot est juste.
Jan et Pieter, les compagnons de sir Lodewijk, ne
s’exprimaient qu’en un flamand guttural épicé de quelques jurons anglais appris
sans doute sous les murs de Calais.
— Que se passe-t-il à Calais ? s’enquit Thomas
tandis qu’ils chevauchaient vers le sud.
— Rien. La ville est… comment dire vous ? tenta
d’expliquer sir Lodewijk avec un geste circulaire de la main.
— Encerclée.
— Ja, la maudite ville est encerclée, dents de
Dieu ! Par les Anglais, ja ? Et par… (Il s’arrêta, cherchant
le mot juste, avant de désigner une bande de terre noyée d’eau à l’est de la
route.) Par ça.
— Des marécages.
— Ja. Des marécages, cornes du diable ! Et
ces maudits bâtards français, ils sont sur…
À court de mots, il pointa son doigt cuirassé de fer vers le
ciel gris.
— Sur les hauteurs ? l’aida Thomas.
— Ja ! Sur les hauteurs, ventredieu !
Pas très hautes, je pense, mais plus hautes. Et ils… (Il plaça une main sur ses
yeux comme pour les protéger du soleil.)
— Guettent ?
— Ja. Ils guettent, et les autres, ils guettent.
Alors rien arriver mais eux et nous mouillés. Pluie comme pisse vache, ja ?
Ils furent mouillés à leur tour plus tard, ce matin-là,
arrosés par une pluie venue de l’océan. De grands rideaux de gris se mirent à
cingler les fermes désertées et les landes aux arbres invariablement penchés
vers l’est. Lors de son arrivée en Bretagne, cette région était une terre
fertile riche de fermes, de vergers, de moulins et de pâturages. À présent,
c’était un désert nu et désolé. Les arbres fruitiers délaissés croulaient sous
les étourneaux, les champs étaient étouffés par les herbes folles et les
pâtures envahies de chiendent. Çà et là, des
Weitere Kostenlose Bücher