L'archer du Roi
obstinés tentaient d’arracher
quelque pitance à la terre, mais on venait sans cesse les chercher pour les
forcer à travailler à La Roche-Derrien sur les remparts, et leurs récoltes et
leurs provisions étaient invariablement dérobées par les patrouilles anglaises.
Si certains, parmi ces Bretons, connaissaient la présence des quinze cavaliers
qui traversaient la région, ils prenaient grand soin de se cacher.
Ils faisaient route avec un cheval de rechange, ce qui
n’était pas suffisant. En effet, seuls les trois Flamands montaient de bons
étalons. C’était surprenant, car les voyages en mer avaient généralement des
conséquences néfastes sur les chevaux, mais sir Lodewijk leur fit comprendre
que leur traversée avait été étonnamment rapide. « Les vents, pardieu, ja ? »
Il fit tourner sa main en soufflant pour mimer la force des vents qui avaient
permis aux destriers de rester en si bonne condition. « Vite ! Vite,
les vents ! »
Les Flamands n’avaient pas seulement de bonnes montures, ils
étaient également bien équipés. Jan et Pieter portaient de fort beaux hauberts,
tandis que la poitrine, les deux cuisses et un bras de sir Lodewijk étaient
protégés par de bonnes plaques d’armure attachées sur un haubergeon de mailles
doublé de cuir. Tous trois portaient des surcots noirs à large bande blanche
sur le devant et sur le dos, et étaient munis d’écus sans armoiries. Cependant,
la housse du cheval de sir Lodewijk arborait un blason, un poignard d’où coulaient
des gouttes de sang. Le Flamand essaya d’expliquer sa devise, mais son
vocabulaire était insuffisant et Thomas resta avec la vague impression que
c’était la marque distinctive d’une guilde d’artisans de Bruges.
— Les bouchers ? proposa-t-il à Robbie. C’est ce
qu’il a dit ?
— Ces gueux de bouchers ne font pas la guerre, sauf aux
cochons, objecta Robbie.
Ce dernier était de fort bonne humeur : il avait les
expéditions dans le sang. D’autre part, on racontait dans les tavernes de La
Roche-Derrien que des butins mirobolants attendaient ceux qui se risquaient à
braver l’interdit émis par Richard Totesham en s’éloignant à plus d’une journée
de la ville.
— L’ennui dans le nord de l’Angleterre, confia-t-il à
Thomas, c’est que ce qui vaut la peine d’être pillé est caché derrière de gros
murs. De temps en temps, nous attrapons un peu de bétail, et l’année dernière,
j’ai eu la chance de voler un bon cheval à lord Percy, mais impossible de
mettre la main sur de l’or ou de l’argent. Rien qui s’appelle du vrai butin.
Les vases de messe sont tous en bois, ou en étain, ou en argile, et les troncs
pour les pauvres sont plus pauvres que les pauvres. Et si on va trop vers le
sud, ces bâtards nous attendent sur le chemin du retour. Je déteste ces chiens
d’archers anglais.
— Je suis un chien d’archer anglais.
— Oui, mais toi, tu n’es pas comme les autres, répondit
Robbie avec la plus grande sincérité.
En effet, il était déconcerté par Thomas. Les archers,
généralement, étaient des gens de la campagne, des fils de franc-tenanciers, ou
de forgerons, ou de baillis ; pour certains, des fils de laboureurs. À sa
connaissance, aucun n’était bien né comme Thomas. De toute évidence, bien né,
il l’était, car il parlait le français et le latin, il était à l’aise en
compagnie des lords et inspirait le respect aux autres archers. Lui-même, bien
qu’ayant l’apparence d’un sauvage guerrier écossais, était le fils d’un
gentilhomme et le neveu du chevalier de Liddesdale, ce qui le conduisait à
considérer les archers comme des êtres inférieurs qui, selon les lois très
justes de l’univers, pouvaient être foulés aux sabots des chevaux et massacrés
comme du gibier. Mais Thomas, il l’aimait bien.
— Non, tu n’es pas comme cette canaille, reprit-il.
Remarque, sitôt ma rançon payée et dès que je serai de retour chez moi, je
reviendrai pour te tuer.
Thomas éclata de rire, mais c’était un rire forcé. Il était
nerveux. Il mit cette nervosité sur le compte de cette situation nouvelle pour
lui : c’était la première fois qu’il prenait la tête d’une expédition.
C’était son idée, et c’étaient ses promesses qui avaient décidé la plupart de
ces hommes à entreprendre cette longue chevauchée. Il avait affirmé que
Roncelet se trouvait dans un pays non touché par les pillages, éloigné de
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