L'archer du Roi
partageons ?
— Non, répondit Thomas.
Cela ne faisait pas partie de leurs accords. Lui-même eût
préféré partager, car c’était ainsi que Will Skeat agissait, mais les hommes
qui l’accompagnaient avaient déclaré vouloir garder pour eux ce qu’ils
trouveraient.
Sir Lodewijk montra les dents.
— Nous faire comme ça, ja ? Nous
partageons.
— Nous ne partageons pas, intervint messire Guillaume
d’une voix coupante, nous nous sommes mis d’accord.
L’entendant parler en français, le Flamand réagit comme s’il
avait été frappé, mais il comprit le sens de sa phrase et se contenta de
tourner les talons.
— Dis à ton ami l’Écossais de surveiller ses arrières,
conseilla le gentilhomme à Thomas.
— Lodewijk n’est pas si mauvais, répondit ce dernier,
vous ne l’aimez point parce qu’il est flamand.
— Je déteste les Flamands, reconnut messire Guillaume,
ce sont des porcs balourds et stupides. Comme les Anglais.
Leur petite divergence de vues avec les Flamands n’eut pas
de conséquences. Le lendemain matin, sir Lodewijk et ses compagnons étaient de
charmante humeur et, leurs chevaux étant beaucoup plus frais et en bien
meilleure condition que ceux des autres, ils se déclarèrent volontaires, en
anglais rudimentaire étayé de moult signes de la main, pour partir en
éclaireurs. Tout le long du jour, leurs surcots noirs rayés de blanc apparurent
et réapparurent au loin, et, à chaque fois, ils firent signe à la troupe qu’ils
pouvaient avancer sans danger. Plus ils s’enfonçaient en territoire ennemi,
plus le risque grandissait, mais la vigilance des Flamands facilitait leur
progression. Ils leur créaient une piste de part et d’autre de la grand-route
qui courait à l’est et à l’ouest le long de l’arête de la Bretagne. C’était une
route flanquée de bois profonds cachant les membres de l’expédition à la vue
des rares personnes qui l’empruntaient. Ils ne rencontrèrent que deux toucheurs
de bestiaux conduisant leur maigre bétail et un prêtre à la tête d’un troupeau
de pèlerins qui marchaient pieds nus en agitant des branches dénudées et en
chantant un hymne funèbre. Il n’y avait là nulle perspective de butin.
Le lendemain, ils poursuivirent leur route vers le sud et pénétrèrent
dans une région où les fermes avaient échappé aux pilleurs anglais. Là, les
gens n’étaient pas effrayés par la vue des cavaliers, et les pâtures étaient
remplies de brebis et d’agneaux nouveau-nés, dont beaucoup étaient réduits à
l’état de déchets sanguinolents, car les Bretons, trop occupés à se faire la
chasse les uns aux autres, en négligeaient les renards qui proliféraient et
faisaient des ravages.
Accompagnée par les aboiements des chiens de berger, la
petite troupe guidée à présent par Thomas et messire Guillaume, qui avaient
remplacé les Flamands, progressait bien. Les deux guides répondaient en
français aux questions et en se faisant passer pour des fidèles de Charles de
Blois. « Où se trouve Roncelet ? » demandaient-ils aux gens de
rencontre. Au début, personne ne sut répondre, mais ils finirent par tomber sur
un homme qui, au moins, en avait entendu parler, puis sur un autre qui affirma
que son père y était allé une fois, et qu’il pensait que la tour se trouvait
derrière la crête, la forêt et la rivière ; enfin, un troisième leur donna
des indications précises. La tour, selon lui, n’était pas à plus d’une
demi-journée. Ils la trouveraient au bout d’une longue crête boisée qui courait
entre deux rivières. Il leur montra le gué où ils pouvaient traverser et leur
recommanda de suivre la crête vers le sud. Thomas le remercia d’une pièce,
qu’il reçut avec une inclinaison de la tête.
Ils traversèrent la rivière, gravirent la pente jusqu’à la
crête et prirent la direction du sud. Lorsqu’ils s’arrêtèrent pour passer la
troisième nuit, Thomas estima qu’ils ne pouvaient être loin de Roncelet, mais
il ne pressa pas son monde car il pensait que le mieux était de rejoindre la
tour à l’aube. Ils établirent leur campement sous les hêtres, en tremblant de froid
car ils n’osaient pas allumer de feu. Thomas dormit mal. Il entendait
d’étranges bruissements, de curieux craquements dans la profondeur des bois, et
il se demanda si le seigneur de Roncelet n’avait pas envoyé quelque patrouille.
Mais nulle patrouille ne vint les surprendre. Thomas eut beau se
Weitere Kostenlose Bücher