L'archer du Roi
menaçants, ils
entreprirent de lui lécher le visage en remuant la queue.
— Orthos ! appela le chasseur d’une voix brève.
Puis il examina attentivement Thomas. S’il ne le reconnaissait pas, les chiens,
eux, ne s’y trompaient pas. Il s’arrêta.
— Jake ! cria Thomas.
— Doux Jésus ! souffla l’interpellé. Doux
Jésus ! Vois donc ce que la marée nous a apporté ! Orthos !
Argos ! Laissez-le, allez, reculez, bâtards !
Le fouet claqua fort, et les chiens, toujours aussi excités,
reculèrent. Jake secoua la tête.
— C’est bien Thomas, n’est-ce pas ?
— Comment allez-vous, Jake ?
— Je vieillis ! répondit Jake Churchill d’un ton
bourru. Puis il descendit de cheval, bouscula les chiens et serra le jeune
archer dans ses bras.
— C’est ton satané père qui a appelé mes chiens ainsi,
se souvint-il. Par plaisanterie. C’est bon de te revoir, mon garçon.
Jake avait une barbe grise ; son visage, auquel le
temps avait donné une couleur de noix, était marqué par les cicatrices de
multiples griffures d’épines. C’était le maître veneur de sir Giles Marriott,
et c’était lui qui avait appris à Thomas à tirer à l’arc, à traquer le cerf, à
se dissimuler dans le paysage en gardant le silence.
— Par Dieu tout-puissant, mon garçon, que tu as
poussé ! s’exclama-t-il. Que tu es grand !
— C’est ce que font les garçons, ils grandissent, Jake,
répondit Thomas.
Puis, désignant Robbie du geste :
— C’est un ami.
Jake salua l’Écossais d’un hochement de tête, puis chassa
deux chiens qui s’étaient approchés de Thomas. Les animaux, dotés de noms tirés
des mythologies grecque et latine, gémissaient d’excitation.
— Et que diable faites-vous par ici ? Vous auriez dû
venir tout droit au manoir, comme de bons chrétiens ! reprit Jake.
— Il était déjà tard, expliqua Thomas, et j’ai voulu
revoir ces lieux.
— Il n’y a rien à voir ici, répliqua Jake avec mépris,
mis à part les lièvres.
— Vous chassez les lièvres, maintenant ?
— Je n’emmène pas une meute de vingt chiens pour courir
après des lièvres, mon garçon. Non, le garçon de Lally Gooden vous a vus tous
deux en train de traîner par ici la nuit dernière et donc sir Giles m’a envoyé
voir ce qui se mijotait. Nous avons eu une paire de vagabonds qui ont essayé de
s’installer par ici au printemps, et il a fallu les chasser. Et la semaine
dernière il y a eu une paire d’étrangers qui sont venus rôder.
— Des étrangers ? répéta Thomas, sachant
pertinemment que ces prétendus étrangers pouvaient fort bien être issus
simplement de la paroisse voisine.
— Un prêtre et son valet, précisa Jake, et s’il n’avait
pas été prêtre, j’aurais lâché les chiens sur lui. Je n’aime pas les étrangers,
ils n’ont rien à faire par ici. Vos chevaux à vous autres ont l’air d’avoir
faim. Vous autres aussi. Vous voulez manger ? Ou vous préférez rester ici
à me gâter ces diables de chiens à force de flatteries ?
Ils retournèrent à Down Mapperley en suivant les chiens à
travers le petit village. Thomas se souvenait d’une bourgade deux fois plus
grande que Hookton. Enfant, c’était pour lui quasi une ville, mais à présent,
elle était rendue à ses véritables proportions. Elle était très petite. Petite
et basse, car, juché sur son cheval, il dépassait en hauteur les chaumières
qu’il voyait autrefois comme des palais. Les tas de fumier qui jouxtaient
toutes les maisons atteignaient la hauteur du chaume. Le manoir de sir Giles
Marriott, situé juste après le village, était couvert de chaume lui aussi, et
son toit moussu descendait presque jusqu’au sol.
— Il sera content de te voir, affirma Jake.
En effet, sir Giles fut content. C’était un vieil homme, à
présent, et il était veuf. S’il se méfiait autrefois de la fougue de Thomas, il
accueillait aujourd’hui le jeune archer comme un fils prodigue.
— Tu es maigre, mon garçon, bien trop maigre. Être
maigre, ce n’est pas bon pour un homme. Vous allez vous garnir la panse, tous
les deux. De la purée de pois cassé et de la petite bière, voilà ce que nous
avons. Il y avait du pain hier, mais il n’y en a pas aujourd’hui. Quand
allons-nous faire cuire du pain, Gooden ?
Le valet ainsi interrogé répondit d’un ton de
reproche :
— C’est mercredi aujourd’hui, Messire.
— Donc, demain. Du pain demain, pas de
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