L'archer du Roi
questions. Parce qu’il faut y répondre, tu comprends ?
Mais si, tu veux du jambon ! Comment non ? Gooden ! Demande à ta
fille de préparer ce jambon !
Sir Giles se hissa sur ses jambes et traversa la pièce en
traînant les pieds, se dirigeant vers un grand coffre de chêne noir au bois
ciré. Il souleva le couvercle et, grognant sous l’effort, se mit à farfouiller
parmi les vêtements et les bottes jetés pêle-mêle à l’intérieur.
— Moi, je trouve que j’ai mon compte de questions,
Thomas, poursuivit-il. Je rends la justice dans la cour du manoir toutes les
deux semaines et je sais s’ils sont coupables ou innocents au moment même où on
me les amène ! Mais il nous faut faire semblant que non, n’est-ce
pas ? Eh bien, où est-il ? Ah !
Il avait trouvé ce qu’il cherchait et posa l’objet sur la
table.
— Tiens, Thomas, va au diable avec ta question et voici
ta réponse, dit-il en poussant un paquet à travers la table.
C’était un petit objet enveloppé dans un vieux sac de toile.
Thomas, absurdement, eut la prémonition qu’il s’agissait du Graal. Mais il fut
déçu lorsqu’il découvrit que le sac contenait un livre. La couverture était
constituée par un rabat de cuir souple quatre ou cinq fois plus grand que les
pages, utilisé pour envelopper le volume. Celui-ci, lorsque le jeune homme
l’ouvrit, se révéla être un manuscrit écrit de la main de son père.
En feuilletant rapidement les pages, Thomas découvrit des
notes écrites en latin, en grec et dans une étrange écriture dont il pensa que
ce devait être de l’hébreu. Il revint à la première page où ne figuraient que
trois mots : Calix meus inebrians. En les lisant, il sentit son
sang se figer.
— As-tu ta réponse ? s’enquit sir Giles.
— Oui, Messire.
Le vieil homme se pencha sur la première page.
— C’est du latin, n’est-ce pas ?
— Oui, Messire.
— C’est ce que je pensais. J’ai regardé, assurément,
mais ça n’avait ni queue ni tête pour moi, et je n’avais nulle envie de
demander à sir John – sir John était le curé de Saint-Pierre à
Dorchester – ou à cet homme de loi, comment s’appelle-t-il déjà ?
Celui qui bave quand il s’enflamme. Il parle latin, ou il dit que c’est du
latin. Que signifient ces mots ?
— « Ma coupe me rend ivre », répondit Thomas.
— « Ma coupe me rend ivre » ! répéta sir
Giles, qui trouva la phrase amusante à l’extrême. Ah, l’esprit de ton père
battait réellement la campagne ! C’était un brave homme, un brave homme,
mais bonté divine ! « Ma coupe me rend ivre » !
— C’est tiré d’un psaume, expliqua Thomas en tournant
la page.
La deuxième page était écrite dans la langue qu’il pensait
être de l’hébreu. Pourtant, elle comportait une étrange particularité. Un
symbole récurrent ressemblait à un œil humain, chose qu’il n’avait jamais vue
dans un texte écrit en hébreu, même s’il fallait reconnaître qu’il n’avait pas
vu souvent de textes en hébreu.
— C’est tiré d’un psaume, Messire, reprit-il, celui qui
commence en disant que le Seigneur est notre berger.
— Ce n’est pas mon berger à moi, grommela le vieil
homme. Du diable si je suis un mouton !
— Moi non plus, Messire, je ne suis pas un
mouton ! renchérit Robbie.
— Je me suis laissé dire que le roi d’Écosse a été fait
prisonnier, dit sir Giles, se tournant vers lui.
— Ah oui, Messire ? demanda Robbie d’un air
innocent.
— Ce sont des balivernes, assurément, décréta le vieil
homme, avant de se lancer dans un long récit relatant sa rencontre avec un
Écossais barbu à Londres.
Thomas n’y prêta pas attention, préférant feuilleter le
livre de son père. Il ressentait une sorte d’étrange déception, car l’existence
de ce livre tendait à prouver que la quête du Graal se justifiait. Il avait
envie que quelqu’un lui dise que tout cela n’était que sottises, qu’on le
délivre de ses chaînes, mais son père avait pris l’affaire suffisamment au
sérieux pour écrire cet ouvrage. Cependant, il ne fallait pas oublier que son
père était fou…
Mary, la fille de Gooden, apporta le jambon. Thomas la
connaissait depuis leur enfance, à l’époque où ils jouaient ensemble dans les
flaques d’eau. Il la salua d’un sourire. Puis il remarqua que Robbie la
dévisageait comme s’il avait devant lui une apparition descendue tout droit des
cieux. Avec
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