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L'archipel des hérétiques

L'archipel des hérétiques

Titel: L'archipel des hérétiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mike Dash
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Rome. Alors que la
raison d'être du système scolaire primaire était précisément d'inculquer à ses
élèves un calvinisme étroit, les jeunes garçons qui poursuivaient leurs études
se voyaient encouragés à s'affranchir des schémas de dévotion rigides, pour
exercer leur propre sens critique. Les écoles de Frise et du Groningue
brillaient par leur libéralisme et leur ouverture d'esprit.
    De par ses origines frisonnes, et en tant que diplômé d'un
collège du Nord, le jeune Cornelisz dut recevoir une éducation aussi éloignée
que possible de l'orthodoxie calviniste. Une bonne partie des diplômés de ces
collèges devenaient pasteurs, ou médecins. D'autres se tournaient vers des
études juridiques, ou vers les carrières de l'administration. Ceux qui
manquaient soit des aptitudes nécessaires aux études, soit de la fortune ou du
statut social qu'il fallait pour être admis à l'université, entraient généralement
comme apprentis chez un maître, dans l'une des professions les plus
prestigieuses.
    Pour une raison qui nous échappe, c'est cette dernière
filière que suivit Jeronimus. Il avait choisi la profession d'apothicaire. À
l'aube des temps modernes, le système médiéval des corporations restait très
vivace dans toute la République des Provinces-Unies. Les futurs forgerons,
épiciers, chirurgiens ou tailleurs devaient tous se trouver un maître chez
lequel ils prenaient pension, pour une période allant de trois à sept ans. Le
maître leur assurait le gîte et le couvert, et leur transmettait les secrets de
son métier ; en retour, l'apprenti travaillait gratuitement pendant toute la
durée de son apprentissage 8 .
    À la fin de la période convenue, le garçon qui était à
présent devenu un jeune homme devait présenter un ou plusieurs chefs-d'œuvre,
au sens le plus littéral - c'est-à-dire des échantillons de son art,
constituant une preuve de sa maîtrise dans la profession. Ces chefs-d'œuvre
étaient présentés aux plus éminents représentants de la corporation concernée,
et si l'on jugeait que l'apprenti possédait suffisamment son art, il était à
son tour admis dans la corporation. Un tel engagement était lourd de
conséquences et entraînait certaines obligations. Les membres devaient, en
particulier, cotiser régulièrement et généreusement, pour alimenter les caisses
de la corporation. De nom-breux apprentis qui avaient présenté avec succès
leurs chefs-d'œuvre, mais n'avaient pas les moyens de payer leurs cotisations,
ne parvenaient jamais à accéder au rang de maître et restaient indéfiniment
compagnons ou ouvriers.
    Jeronimus dut être apprenti apothicaire entre 1615 et
1620. C'était une situation recherchée. A l'époque, et dans toute l'Europe, les
maîtres apothicaires avaient le monopole de la préparation et de la vente des
médicaments. Ils pouvaient donc compter sur une clientèle stable. Leurs
remèdes, des préparations compliquées et coûteuses, leur permettaient d'amasser
d'énormes fortunes. Gidéon de Laune, un émigré français qui avait ouvert son
officine à la cour d'Angleterre, mourut en laissant un pactole équivalant à
cent quarante-quatre mille dollars actuels - sa fortune dépassait celle de la
plupart des aristocrates qu'il soignait 9 . La prospérité des
apothicaires hollandais n'était peut-être pas aussi spectaculaire, mais la
profession était très florissante. D'innombrables maux requerraient leur
intervention. Les principales maladies infectieuses du temps, qui furent
endémiques durant tout le xvu c siècle, étaient la peste (elle
emportait de 60 à 80 % de ses victimes), la lèpre et le typhus. La dysenterie,
qui tuait un malade sur quatre, la syphilis, la tuberculose et la typhoïde
n'avaient rien d'exceptionnel, et ceux qui avaient la chance d'échapper à ces
fléaux risquaient encore de succomber aux maladies virales qu'on appelait alors
les fièvres - la malaria ou la variole. Les cas de cancer étaient rares - peu
de gens vivaient assez vieux pour en développer.
    Le calendrier nous permet de nous faire une idée assez
précise de la fréquence et de l'étendue de ces fléaux, au xvn e siècle. On relève par exemple, dans le paradis catholique, non moins de cent
vingt-trois saints spécialement affectés aux victimes des fièvres, ce qui est
de loin l'effectif le plus important voué à une catégorie de malades.
Quatre-vingt-cinq autres recevaient les prières des parents confrontés aux
dangers des maladies

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