L'archipel des hérétiques
sanglier séché, par exemple, était
prescrit pour réduire les glaires.
Pour un esprit moderne, l'ingrédient le plus surprenant de
la pharmacopée de l'époque était la « momie » - de la chair humaine séchée
provenant, en principe, des tombes égyptiennes. C'était une panacée très
prisée, que l'on disait souveraine contre à peu près tous les maux, de la
migraine à la peste bubonique. Les momies les plus recherchées présentaient «
une surface noire, résineuse, dure et lustrée », un goût âcre et une odeur
forte. Lorsque les arrivages d'Égypte se faisaient rares, et c'était souvent le
cas, on leur substituait des produits européens. Le défunt sur lequel on
prélevait le produit ne devait cependant pas avoir succombé à une maladie
infectieuse. Bien que la chair des voyageurs ayant péri étouffés dans les
tempêtes de sable du Sahara fût théoriquement considérée comme le meilleur cru
de « momie », c'étaient en pratique les gibets qui fournissaient la principale
source de ce remède miracle.
A une importante exception près, il était relativement
facile de se procurer les autres ingrédients indispensables. Les bouchers ou
les revendeurs itinérants spécialisés fournissaient les apothicaires en
produits animaux. Le pharmacien cultivait ou cueillait lui-même ses plantes et
sillonnait la campagne en quête de racines rares, l'essentiel étant d'utiliser
des ingrédients de première fraîcheur. Pratiquement toutes les préparations,
pommades ou potions devaient être préparées le jour même et les instruments les
plus indispensables à l'apothicaire étaient son pilon et son mortier.
Les seuls remèdes qu'aucun apothicaire ne préparait
lui-même étaient les thériaques 17 (du grec thé-riaké ),
électuaires qui servaient d'antidote aux venins de toutes sortes. Les
thériaques (car il en existait de nombreuses catégories) permettaient de
combattre aussi bien les morsures de serpent que la rage ou les effets des poisons.
Néanmoins, elles étaient le plus souvent prescrites comme fortifiants pour les
patients ayant subi sans succès un certain nombre de saignées, de purges et de
clystères. C'étaient des remèdes particulièrement complexes et puissants. Leur
préparation exigeait des compétences si étendues que seuls les apothicaires les
plus experts pouvaient les élaborer. Il y entrait plus de soixante-dix
ingrédients, dont la chair de vipère. Les plus réputées venaient de Venise,
sous le nom d'élec-tuaire de Venise. Les pharmaciens vénitiens élevaient
leurs propres vipères et concoctaient chaque année leur thériaque en quantité.
La préparation était ensuite exportée dans toute l'Europe par les autorités de
la cité, et aucun apothicaire digne de ce nom n'aurait pu s'en passer.
Mais les produits médicinaux n'étaient pas la seule source
de revenus des apothicaires hollandais. Ils étaient membres de la corporation
de saint Nicolas qui rassemblait les marchands d'épices et de produits
alimentaires et pouvaient donc, comme eux, vendre des gâteaux aux fruits secs
et des pains d'épice. Certains, parmi les moins scrupuleux, se composaient
aussi des stocks de bière qu'ils revendaient sous le manteau, sans acquitter
les lourdes taxes imposées par l'État sur l'alcool. Tous fabriquaient des
poisons à base d'arsenic, pour juguler la prolifération des rats et de la
vermine qui infestaient toutes les villes de l'époque 18 . Cette
partie de leur travail était rigoureusement contrôlée par le conseil de la
ville, mais cela n'en contribuait pas moins à leur conférer une réputation
quelque peu ténébreuse. Lorsque quelqu'un succombait à un mal aussi soudain
qu'inexpliqué, on évoquait à demi-mot des histoires de potions suspectes,
concoctées dans de sombres arrière-boutiques. Et les apothicaires de sourire
d'un air entendu, derrière leurs bocaux...
Ce fut probablement entre 1624 et 1627 que Cor-nelisz
ouvrit son officine à Haarlem 19 . Les raisons qui le poussèrent à
s'installer en Hollande plutôt qu'en Frise nous demeurent inconnues - si ce
n'est que Haarlem était une ville nettement plus influente, plus riche et plus
cosmopolite que Bergum ou Leeu-warden. C'était la seconde ville des Provinces-
Unies, par ordre de puissance et de prospérité, et avec sa
population de quarante mille âmes, la place semblait propice au lancement d'une
nouvelle affaire.
C'était une ville typiquement hollandaise, bruyante,
populeuse et animée, mais d'une
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