L'archipel des hérétiques
l'histoire du navire selon divers
points de vue. Nous avons conservé des témoignages, si fragmentaires
soient-ils, provenant des passagers de la chaloupe du Batavia, d'un commis de la VOC qui parvint à
échapper aux mutins, et d'un autre survivant du Cimetière du Batavia. Plus important encore,
nous disposons des confessions des mutins eux-mêmes, transcrites pendant leurs
interrogatoires, ou immédiatement après.
C'est une chance. Les archives hollandaises qui concernent
l'Âge d'Or de ce pays sont assez volumineuses, mais les documents qu'elles
contiennent font surtout référence aux faits et gestes des membres des classes
aisées. On y trouve peu d'informations concernant les petites gens, qui ne
possédaient ni terres ni argent, mais qui constituaient l'immense majorité des
passagers et de l'équipage du Batavia. Quant aux journaux de l'époque, ils n'avaient pas de reporters
chargés d'enquêter sur le terrain des événements, fussent-ils aussi
sensationnels que ce célèbre naufrage, et personne ne s'est soucié de
recueillir le témoignage des survivants du Batavia. Les comptes rendus de Francisco Pelsaert constituent donc l'une
des descriptions les plus détaillées qui nous soient parvenues, toutes langues
confondues, d'un exemple classique de mutinerie. Il était en effet fort rare
que plusieurs dizaines de mutins soient arrêtés et jugés ensemble.
La version que donne Pelsaert de ces événements fait
partie du journal manuscrit du voyage inaugural du Batavia, tenu par le commandeur. Il a été conservé parmi les documents
de la VOC qui se trouvent actuellement à l'Algemeen RijksArchief, à La Haye. Ce
journal est issu des volumes de courrier provenant chaque année des Indes, et
comprend les folios 232r à 317r du volume classé sous le nom de ARA VOC 1098.
Un document plus ancien rédigé par Pelsaert, et relatant le voyage du Batavia d'Amsterdam aux Abrolhos,
fut jeté par-dessus bord par les mutins lors du pillage de la cabine du commandeur, après le naufrage. Le
journal qui nous est parvenu couvre donc la période allant du naufrage, survenu
le 4 juin 1629, au retour définitif de Pelsaert aux Indes orientales, en
décembre de la même année.
Le contenu et le style du journal varient considérablement
d'une page à l'autre. Tantôt le texte diffère peu d'un simple carnet de bord,
et tantôt l'auteur restitue sa propre expérience des suites de la mutinerie, en
un récit très personnel. Les comptes rendus détaillés des interrogatoires
auxquels Pelsaert soumit les mutins, suivis par ce qui apparaît plus ou moins
comme des transcriptions textuelles des verdicts, constituent la majeure partie
du manuscrit.
Les diverses parties du journal ont été rassemblées dans
un ordre approximativement chronologique. Mais, à en juger par la manière dont
ils sont présentés, ils n'ont manifestement pas été écrits au même moment. Le
cas de chacun des principaux mutins est traité séparément. Les minutes de
chaque interrogatoire, datées de la troisième semaine de septembre, sont
suivies du verdict prononcé le 28 du même mois contre le mutin concerné. Puis
viennent les minutes de l'interrogatoire suivant, et ainsi de suite. Dans la
transcription de l'interrogatoire de Mattys Beer [ARA VOC 1098 fol. 278vj le
scribe a inclus un témoignage complémentaire, rédigé le jour de l'exécution de
la sentence, dans un espace laissé libre au bas d'une page. Cet ajout semble
indiquer que le journal a été écrit sous sa forme définitive entre le moment où
les juges ont rendu leur verdict, le 28 septembre, et l'exécution des
principaux meneurs de la mutinerie, le 2 octobre. D'un autre côté, la
présentation de l'ensemble du rapport suggère que les comptes rendus ont été
rapidement pris en notes au cours des interrogatoires, puis remis au propre
dans le journal, pendant les opérations de sauvetage, voire pendant le trajet
de retour des survivants vers Java, qui dura de la mi-novembre au 5 décembre.
En ce cas, il est possible que l'auteur de la compilation ait simplement mal
classé l'ultime confession de Beer au moment de la transcription du compte
rendu de la confession du mutin, et qu'il ait dû reconstituer la chaîne des
éléments de son récit, lorsqu'il a retrouvé le texte de cette confession au
milieu d'autres documents.
Quoi qu'il en soit, on aurait tort de considérer le
journal de Pelsaert comme un témoignage spontané et écrit sur le vif. Cette
compilation a été
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