L'archipel des hérétiques
faite avec beaucoup de soin, et il est indiscutable que ses
différentes parties ont été diligemment relues et corrigées, au fur et à mesure
de son élaboration. Les comptes rendus des divers interrogatoires sont, par
exemple, de véritables récits rédigés et réécrits à la troisième personne, et
non de simples transcriptions des paroles de chaque prisonnier.
En fait, conformément aux usages du système juridique
hollandais qui accordait une importance prépondérante aux aveux, le journal ne
fait pratiquement pas de place aux témoins « ordinaires » qui assistèrent à ces
extraordinaires événements. Comme on pouvait s'y attendre, aucune des femmes du Batavia ne fut auditionnée. Il est
du reste possible que d'autres documents - peut-être très nombreux -aient été
omis, soit qu'on les ait jugés hors sujet, soit parce qu'ils montraient
certains des protagonistes sous un jour défavorable. Enfin, il faut garder à
l'esprit que ce journal a été constitué à l'intention des directeurs de la VOC d'Amsterdam,
dont dépendait l'avenir de Pelsaert et des autres responsables du Batavia. Il faudrait être naïf
pour imaginer que les différents textes qu'il rassemble ont été rédigés avec
une totale impartialité.
On peut se faire une idée de la manière dont les
différentes parties ont été élaborées et réécrites en se penchant sur
l'identité des différents auteurs. Les comptes rendus du commandeur ne sont pas écrits de sa
main. On n'y retrouve pas son écriture serrée et mal assurée, dont témoigne une
lettre unique, conservée dans les archives de la VOC [ARA VOC 1098 fol.
583r-584r], et Pelsaert y est désigné, presque d'un bout à l'autre, à la
troisième personne. Il ne serait donc pas impossible que le journal du Batavia soit en réalité l'oeuvre
de l'un des clercs du commandeur - sans doute Salomon Deschamps, qui fut l'un des « mutins malgré
eux ». A l'appui de cette hypothèse, l'écriture manuscrite du journal est
identique à celle de la copie des Remarques sur
l'Inde moghole de Pelsaert que possédait la VOC.
et dont on sait qu'elle a été compilée par Deschamps. Ce qui expliquerait en
outre que les listes énumérant les hommes de Cornelisz, qui sont recopiées dans
le journal selon l'ordre décroissant des grades, conformément à l'usage de
l'époque, mentionnent toujours en dernier lieu le nom de Deschamps, qui était
pourtant d'un grade relativement élevé. Peut-être s'agissait-il d'un effort du
malheureux clerc pour se démarquer des mutins [R 42-47]. Même si je désigne
souvent ce recueil sous le titre de « Journal de Pelsaert », dans un souci de
simplification, il serait donc inexact de le présenter comme un texte dont
Pelsaert serait personnellement l'auteur.
Le seul autre compte rendu qui subsiste de la mutinerie,
sous forme manuscrite, nous est parvenu de manière indirecte. C'est une série
d'anecdotes à propos des voyages aux Indes effectués par les Hollandais,
conservée dans les archives municipales de Harderwijk, une petite ville
portuaire du Gelderland. On trouve dans ce manuscrit [Gemeente Archief
Harderwijk, Oud Archief 2052 fol. 30-7] des détails des événements des
Abrolhos, telle l'histoire de l'exploit de Wybrecht Claasen qui regagna l'épave
à la nage, pour en rapporter de l'eau, ou celle de Cornelisz emprisonné dans un
trou où il devait plumer des oiseaux, dont on ne trouve trace dans aucune autre
source. Il semble probable que le compilateur anonyme les ait obtenues d'un
membre de l'équipage du Batavia. Certains détails internes nous portent à penser que ces anecdotes
furent rédigées vers 1645 [R 22-28, 57].
Quatre autres témoignages oculaires ont été par la suite
imprimés et conservés dans diverses brochures contemporaines ou datant à peu
près de la même époque. Le plus important des quatre fut produit de manière
anonyme par Isaac Commelin, un libraire d'Amsterdam dont l'ouvrage Origin and Progress of the United Hollande Chartered East-India
Company, publié en 1645, contribua à lancer la
vogue hollandaise des récits de voyages exotiques.
Commelin (1598-1676) donna à ce succès une suite, avec Ongeluckgie Voyagie Van 't Schip Batavia (« Le Voyage malheureux du Batavia »), un ouvrage dense relié et
illustré de planches gravées au cuivre, qui contenait non seulement les détails
de la mutinerie de Cornelisz mais aussi les récits de deux autres voyages.
D'abord publié par l'imprimeur Jan Jansz,
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