L'archipel des hérétiques
peine de quoi vivre et ne pouvaient compter sur aucun système de
pension, ni sur d'autres avantages - à supposer qu'ils aient la chance de
survivre jusqu'à l'âge de la retraite - cet accord laissait fort à désirer.
Comme la Compagnie retenait une bonne part de leur salaire en vue de leur
retour (en partie pour dissuader les candidats à la désertion), et que
s'attarder quelques années de trop en Orient équivalait à un suicide, la
plupart s'embarquaient avec la ferme intention de glaner tout ce qui passerait
à leur portée, et de se remplir les poches aussi vite que possible.
Parmi ces marchands se trouvait un certain Francisco
Pelsaert 22 , originaire d'Anvers, tout comme une bonne partie de
l'élite des cadres de la VOC. Dans une certaine mesure, bien qu'issu d'une
famille catholique, Pelsaert était un employé typique de la Compagnie. Il avait
dû cacher ses origines pour pouvoir être engagé, car la Jan Compagnie ne
recrutait en principe que des protestants 23 . Il n'avait que peu de
liens familiaux qui le retinssent aux Pays-Bas : son père était mort alors
qu'il n'avait pas cinq ans, et sa mère s'était remariée, laissant son
grand-père s'occuper de son éducation. A la mort de son aïeul, bien qu'étant le
rejeton d'une famille relativement aisée, le jeune homme se trouva livré à
lui-même et presque sans ressources. Son grand-père avait légué la majeure
partie de sa fortune à sa propre femme, ne lui laissant pratiquement rien.
Pelsaert, qui avait à présent une vingtaine d'années, se
vit donc contraint de subvenir à ses propres besoins et postula auprès de la
chambre de Middel-burg. Sa candidature fut retenue. On l'engagea comme
assistant administratif - le premier poste de la filière commerciale, où il
devait se charger des tâches administratives les plus routinières, pour un
salaire mensuel de vingt-quatre florins. Quatre mois plus tard, il s'embarquait
pour l'Orient à bord du Wapen von Zeeland (Armes de Zélande).
On ignore à peu près tout des trois premières années que
Pelsaert passa aux Indes 24 - si ce n'est que son travail dut être
apprécié, puisqu'il fut promu au rang d'intendant adjoint aux alentours de
1620, et affecté au comptoir de Surat, récemment fondé par la Compagnie sur la
côte nord-ouest de l'Inde, avec pour mission de veiller au bon développement
des relations commerciales avec les empereurs moghols - une dynastie célèbre
pour sa richesse fabuleuse, dont le nom est resté un symbole de fortune et de
pouvoir. Quelques semaines après son arrivée en Inde, Pelsaert fut délégué à la
cour impériale d'Agra 25 , pour négocier des étoffes et de l'indigo.
En 1624, son salaire qui était jusque-là de cinquante-cinq florins mensuels
passa à quatre-vingts florins. A cette époque, le jeune homme d'Anvers avait
été promu subrécargue et dirigeait la mission déléguée par la VOC à la cour
impériale moghole.
Cette promotion était méritée, car Pelsaert avait
amplement fait ses preuves 26 . Le principal succès qu'il avait à son
palmarès d'Agra était d'avoir affermi le contrôle de la Compagnie sur le
commerce de l'indigo, une teinture bleue rare et recherchée - et d'avoir
multiplié les bénéfices en détournant vers Surat le plus gros du flux
commercial d'épices de la côte de Coromandel. Il insistait régulièrement auprès
des dix-sept directeurs de la VOC pour les convaincre de miser davantage sur le
potentiel de l'Inde, en tant que base commerciale. La Compagnie anglaise des
Indes orientales n'avait alors qu'une position relativement fragile sur le
sous-continent indien, et les maîtres de Pelsaert auraient été bien inspirés de
suivre ses recommandations. Ils auraient ainsi affermi leur position, face à
l'influence anglaise qui s'étendait régulièrement en Inde.
La réussite de Pelsaert en Orient ne tarda pas à lui
attirer l'attention favorable des Dix-sept. Son succès s'expliquait par divers
facteurs. D'abord, le subrécargue avait le don des langues. Il parlait
couramment l'hindoustani et possédait des rudiments de persan. Ayant
spontanément compris l'intérêt de dépenser sans compter, lorsqu'il s'agissait
d'en imposer à ses hôtes, il avait organisé des arrivages permanents de cadeaux
ou de pots-de-vin destinés aux principaux responsables indiens. Il était en outre
l'ami et le protégé du fameux Pieter Van den Broe-cke 27 , le marchand
hollandais le plus influent de Surat, qui était comme lui originaire
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