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L'archipel des hérétiques

L'archipel des hérétiques

Titel: L'archipel des hérétiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mike Dash
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d'enfant que de trafiquer les comptes. Il
suffisait d'acheter des denrées à bas prix et de prétendre les avoir payées
davantage, ou de surestimer la valeur d'un stock endommagé. Les marchands
n'étaient pas les seuls à estamper leur employeur : bon nombre d'employés de
moindre envergure graissaient la patte à leurs collègues pour qu'ils ferment
les yeux sur leur propre petit commerce d'épices. D'autres trafiquaient pour le
compte de marchands indigènes, ce qui était tout aussi mal vu.
    « Il n'existait aucun esprit
de corps 34 à la VOC, note un historien.
La Compagnie dans son ensemble était d'une pingrerie des plus décourageantes,
et le moral de ses troupes s'en ressentait. Face à cette avarice
institutionnalisée, et pour tout homme valide, depuis le conseiller des Indes,
jusqu'au dernier des soldats, c'était devenu un véritable devoir que de servir
d'abord ses propres intérêts. »
    La Jan Compagnie, qui était avant tout une organisation
pragmatique, finit par se résigner à cet état de fait, et ne fit plus que des
efforts très sporadiques pour éradiquer ce marché noir, qu'elle tolérait plus
ou moins. Pour se faire prendre, il fallait être soit particulièrement
malchanceux, soit d'une avidité particulièrement voyante - ou alors se faire
dénoncer par un rival jaloux.
    Francisco Pelsaert ne dérogeait pas à la règle. Pendant
son mandat à Agra, il puisa dans les caisses de la Compagnie pour s'établir
comme usurier 35 . Il avançait des fonds aux producteurs indigènes
d'in-digo au taux de 18 % et empochait les bénéfices. Mais l'affaire n'allait
pas sans risque. Il lui était difficile de tenir des livres de comptes très
détaillés, qui auraient pu faire l'objet d'une inspection. Les fermiers qui
constituaient sa clientèle lui faisaient parfois défaut et il courait le risque
d'être trahi par un collègue auprès de la VOC. Il parvint cependant à prévenir
ce dernier danger en initiant son propre successeur à la combine, lorsque
lui-même retourna à Surat. En 1636, quand son trafic fut découvert, la VOC
estima qu'il lui en avait coûté près de quarante-quatre mille roupies.
    On pouvait donc s'enrichir au service de la Jan Compagnie.
La rumeur se répandit comme une traînée de poudre dans les Provinces-Unies et
on peut avancer sans grand risque que Cornelisz lui-même comptait sur un trafic
de ce genre pour se refaire une fortune. Son passage à Amsterdam à l'automne
1628 laisse deviner que sa principale préoccupation était de remédier à ses
déboires financiers. Il existait pour les dissidents religieux des refuges plus
sûrs qu'Amsterdam, situés pour la plupart hors des frontières des Pays-Bas,
mais aucune de ces cités n'offrait une telle combinaison d'opportunités et
d'anonymat.
    L'Amsterdam que Jeronimus traversa n'avait pas encore sa
configuration définitive. Les canaux en forme de fer à cheval qui, de nos jours
encore, enclosent le centre de la cité, venaient à peine d'être achevés. Ils
longeaient les murs de la ville par l'intérieur, encerclant les rues les plus
huppées et les entrepôts, pour continuer vers le nord en direction des
quartiers populeux du port. Mais sur leurs quais s'alignaient déjà les hautes
maisons des citoyens les plus riches et les plus influents du pays - la hauteur
de chaque bâtiment indiquant approximativement le degré de prospérité et
d'influence de son propriétaire. Les rues étroites grouillaient déjà d'une
foule laborieuse qui se hâtait vers ses occupations et il suffisait d'une
charrette ou d'un attelage pour provoquer d'énormes encombrements. Dès 1617, le
trafic du centre avait augmenté dans des proportions si alarmantes qu'il avait
fallu instituer un système de sens uniques 36 pour remédier à cette
congestion, mais le vacarme et les embouteillages résistaient à tout.
    Les marchands d'Amsterdam se levaient à 5 h 30 et se
mettaient au travail dès 7 heures. Ils travaillaient en moyenne de douze à
quatorze heures par jour, ce qui ne leur laissait que peu de temps à consacrer
aux étrangers. Les nouveaux venus se sentaient parfois transparents. Les
citoyens de souche étaient si occupés à faire fructifier leur argent, que les
visiteurs avaient le sentiment de passer totalement inaperçus, dans les rues
encombrées de la grande cité.
    Il est donc fort improbable que quiconque ait remarqué
Jeronimus Cornelisz, ou engagé la conversation avec lui, tandis qu'il se
faufilait dans la foule du centre ou

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