L'archipel des hérétiques
qu'il franchissait les murs de la cité
médiévale, là où ils font place au Waag, l'ancien poids public. Les
nouvelles fortifications, dont la construction fut entreprise lorsqu'il s'avéra
que les remparts existants ne pourraient plus contenir la ville, s'avançaient
vers l'est sur environ un kilomètre, et la zone comprise entre les deux murailles
était devenue l'un des centres commerciaux les plus actifs d'Amsterdam.
Commodément situé à proximité du port, le quartier offrait de vastes espaces,
propices à la construction de docks et d'entrepôts.
La densité de la population était plus faible de l'autre
côté du Waag , et Cornelisz dut aisément trouver ce qu'il cherchait. Il
se rendait à la Maison des Indes orientales, sise sur le Kloveniersburgwal, un
canal bordé d'arbres qui faisait autrefois office de douves, et non loin d'une
des extrémités de la Oude Hoogstraat, la vieille rue haute d'Amsterdam. La
maison elle-même était un rectangle de brique, imposant sinon élégant. Achevée
en 1606, elle avait été construite autour d'une cour centrale. C'était le siège
principal de la chambre locale de la VOC.
A la Jan Compagnie, le recrutement se faisait de façon
plus ou moins aléatoire. On ne faisait passer ni tests ni examen aux candidats,
et on ne leur demandait aucune référence. Comme seuls les destitués, têtes
brûlées et autres proscrits se portaient candidats, la VOC ne pouvait s'offrir
le luxe de se montrer excessivement tatillonne 37 . Et les postulants
des couches les plus élevées de la société étaient particulièrement rares. La
demande en personnel commercial était si forte (puisque la plupart des bâtiments
partaient avec une équipe d'une douzaine de personnes constituée d'un
directeur, le subrécargue, flanqué d'un intendant adjoint et assisté de huit ou
dix assistants administratifs, commis, comptables, et secrétaires), que le seul
critère d'embauche était la capacité de la nouvelle recrue à s'engager par
contrat sur cinq ans. Il ne devait être ni en faillite, ni catholique, ni «
frappé d'infamie » - encore que ces règles elles-mêmes ne fussent appliquées
qu'avec une rigueur toute relative.
On ne sait pas exactement par qui Jeronimus Cornelisz fut
reçu à la Maison des Indes orientales, ni par quel biais il entra pour la
première fois en contact avec la VOC. Dans le réseau de relations que le
peintre Torrentius s'était constitué à travers tout le pays, figure un certain
Adriaan Block 38 de Lisse, qui avait fait fortune en Orient et
disposait d'une influence considérable au sein de la Compagnie. Peut-être
avait-il fourni à Cornelisz une lettre d'introduction destinée au directeur de
la chambre d'Amsterdam. Il est tout aussi plausible que l'apothicaire ait été
présenté à une personne disposant des relations adéquates par le truchement de
sa propre famille, de celle de sa femme, ou encore par l'un de ses anciens
clients de Haarlem.
Quoi qu'il en soit, il semble plausible que son âge, son
statut social et sa connaissance de la pharmacie - qui, à l'époque, recouvrait
une étude détaillée des propriétés des épices - suffirent à convaincre les
directeurs de fermer les yeux sur ses récents revers de fortune. Cornelisz se
retrouva donc sur les pavés de Kloveniersburgwal avec en poche un contrat en
bonne et due forme, qui faisait de lui un employé à part entière de la VOC,
destiné à s'embarquer, avec le grade d'intendant adjoint, sur un bâtiment qui
devait appareiller un mois plus tard pour les Indes 39 .
S'il était parti vers l'est, en quittant la Maison des
Indes orientales, il aurait rejoint le bord de mer, à l'emplacement où un
étroit pont de bois enjambe l'eau en direction d'une bourgade du nom de
Rapen-burg. C'était là, dans deux chantiers navals adja-cents, que la chambre
locale de la Jan Compagnie faisait construire Yindiaman qui
l'emporterait vers l'Orient. Quoique de construction toute récente, ces
chantiers jumeaux, que l'on avait baptisés les Peper-werf, l'emportaient
déjà sur tous leurs homologues européens par leur taille et leur productivité 40 .
Les Dix-sept avaient réussi à standardiser la conception de leurs navires et de
leurs composants, et avaient d'ores et déjà établi dans leur programme de
construction navale bon nombre des critères que nous pourrions considérer comme
ceux de la production de masse. Cette standardisation leur avait permis de
ramener leurs délais de production à six
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