L'archipel des hérétiques
étaient à peine entraînées et, à une
époque où les dialectes locaux et les rudes accents provinciaux étaient la
norme, beaucoup de ces soldats avaient du mal à se comprendre entre eux - et, à
plus forte raison, à comprendre les ordres de leurs officiers.
On relève peu de traces d'une quelconque solidarité entre
eux. Les vols et les violences de toutes sortes étaient monnaie courante. Les
seuls liens durables qui semblaient les réunir étaient des amitiés de
convenance entre « pays » - des hommes originaires de la même ville ou de la
même région. Ces camarades surveillaient mutuellement leurs biens, se
partageaient les vivres et l'eau et se soignaient, lorsque l'un d'eux tombait
malade. De tels liens de solidarité pouvaient être d'une importance vitale. Les
hommes qui se trouvaient isolés face à la maladie étaient parfois abandonnés,
et voués à une mort certaine 19 . Les retourschepen étaient
équipés d'une infirmerie 20 , située à la proue, mais les officiers et
les marins y étaient admis en priorité. Or, comme on se plaisait à le souligner
à l'époque, le marin hollandais moyen était « plus touché par la mort d'un
poulet au poulailler que par celle de tout un régiment ».
La majorité des soldats du Batavia étaient
allemands. Ils venaient pour la plupart des ports de la mer du Nord - Brème,
Emden et Hambourg - où la VOC avait établi des centres de recrutement qui
drainaient la lie de toute la côte. Bien que l'armée de la Compagnie ait compté
dans ses rangs un certain nombre d'hommes honorables - il arrivait que les
cadets de familles honnêtes mais pauvres viennent y chercher fortune -,
c'était, dans l'ensemble, un repaire de crapules potentiellement dangereuses.
Ils étaient placés sous les ordres d'un caporal-chef
hollandais, Gabriel Jacobszoon 21 , qui s'était embarqué avec sa
femme. Cet officier était assisté d'un lansepesaat (caporal en second)
originaire d'Amsterdam, un certain Jacop Piertersz 22 , dont les
sobriquets (on le surnommait tantôt Steenhouwer, soit « Coupe-Pierre »,
tantôt cosijn, ce qui signifie « châssis de fenêtre ») suggèrent qu'il
présentait toute la carrure requise pour en imposer aux brutes qu'il devait
mater. Coupe-Pierre et son supérieur direct étaient eux-mêmes sous les ordres
des cadets de la VOC, qui étaient les seuls vrais officiers du bord et ne
partageaient pas les abominables conditions de vie de l'entrepont à vaches. Ces
jeunes officiers étaient généralement des cadets de familles aristocratiques,
dans lesquelles les biens et les terres allaient par tradition au fils aîné,
les autres héritiers mâles devant faire eux-mêmes leur propre fortune.
L'équipage du Batavia comptait une douzaine de ces jeunes cadets, parmi
lesquels quatre au moins semblent avoir appartenu à la noblesse - Coenraat Van
Huyssen 23 , Lenert Van Os, et les frères Van Welde-ren, Olivier et
Gysbert.
Coenraat Van Huyssen est le seul dont nous ayons conservé
quelque trace du passé. Le pasteur le décrit comme un « beau jeune gentilhomme
». Il venait de la province du Gelderland et semble avoir été un cadet de la
famille Van Huyssen, propriétaire du manoir de Den Werd, un fief situé non loin
de la frontière allemande, dans le comté de Bergh. Au fil des années, la
famille produisit plusieurs membres de la chevalerie de la province, mais leur
domaine de Den Werd était de taille modeste et non des plus productifs. En
supposant que Coenraat fut bien un rejeton de la famille Van Huyssen, il ne
serait pas surprenant qu'il soit parti tenter sa chance en Orient. Peut-être
s'était-il engagé dans l'état-major de la Compagnie avec des amis - les frères
Van Welde-ren, par exemple. Ils étaient originaires de Nijme-gen 24 ,
capitale de la province du Gelderland, et il est fort possible que ces trois
jeunes aristocrates aient fait connaissance bien avant d'embarquer ensemble sur
le Batavia.
Si les soldats devaient supporter des conditions de vie
effrayantes, celles des matelots, dans l'entrepont des canons, n'étaient qu'à
peine plus humaines 25 . Leurs quartiers s'étendaient de la coquerie à
la proue. La hauteur sous plafond permettait de s'y tenir debout et les sabords
des canons laissaient entrer un peu de lumière. Mais cent quatre-vingts hommes
s'y entassaient sans aucune hygiène, dans une portion d'entrepont mesurant à
peine plus de vingt mètres. Ils partageaient l'espace avec les coffres
contenant leurs effets
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